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Isabelle Le Minh et ses fantômes

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2019 - 528 mots

À la Galerie Christophe Gaillard, l’artiste poursuit sa réappropriation des œuvres du passé et explore les procédés photographiques révolus.
Paris. Dans la série « Trop tôt trop tard, after Henri Cartier-Bresson » (2007), Isabelle Le Minh faisait disparaître de certaines images du célèbre photographe la silhouette du passant, gommant ainsi le fameux « instant décisif » pour ne conserver que la composition géométrique du cadre. Avec « Darkroomscapes, after Hiroshi Sugimoto » (2012), elle reproduisait les fameux « Seascapes » de l’artiste japonais en photographiant la ligne formée par la rencontre du révélateur et du fond de la cuve servant au tirage. On retrouve ces séries et d’autres plus récentes dans la troisième exposition personnelle que lui consacre la Galerie Christophe Gaillard. Elles forment un contrepoint aux nouvelles pièces tout aussi polysémiques et métaphoriques dans leur contenu que dans leur forme ou dans leur titre. « Traumachrome », « Moebius Film » ou « Silver, after Alfred Ehrhardt » : une nouvelle fois Isabelle Le Minh s’empare de l’histoire du médium, de ses usages et de ses pratiques pour les questionner, les reconfigurer.

La réappropriation, l’inscription dans une filiation, tant du point de vue de la création que de la théorie, permet de créer des fictions, de révéler des potentiels plastiques formant une chambre de résonances. Les paysages urbains décolorés de « Traumachrome » sont ainsi issus d’un séjour à Rochester. La faillite de l’entreprise Kodak, implantée dans cette ville de l’État de New York, a marqué la fin de la fabrication des légendaires films, et du même coup celle de la photographie argentique. Le virage des couleurs dans cette série est né d’un accident lors du scannage des négatifs de la Kodak TRI-X. Un coup du sort qui n’a pas été sans déplaire dans son résultat à l’artiste : celle-ci a réalisé pour chaque paysage une impression sur soie présentée sous la forme d’une diapositive, laquelle renvoie à la forme originelle du développement de ces films, la taille démultipliée.
Telle une archéologue
Née en 1964, Isabelle Le Minh fait partie de cette génération de photographes qui a connu le passage de l’analogique au numérique et qui renouvelle la réflexion sur l’image et son support pris en tant qu’objet photographique. Dans la première et récente monographie publiée sur l’artiste, After Photography & Beyond (éditions Dilecta), les textes signés de l’historienne de la photo Julie Jones ou de l’artiste Joan Fontcuberta en rendent parfaitement compte. De même que celui de Véronique Souben, directrice du Frac (Fonds régional d’art contemporain) Normandie à Rouen, qui lui a organisé en 2017 une première grande exposition personnelle.

« J’aime flâner dans l’histoire de la photographie pour y faire des trouvailles et je cherche à l’explorer comme un territoire tombé dans l’oubli, dans une quête comparable à celle de l’archéologue », rappelle Isabelle Le Minh dans l’entretien, publié dans le livre avec Florian Ebner, chef du cabinet de la photographie au Centre Pompidou. « Il ne s’agit pas pour autant de considérer le passé avec nostalgie ou regret, mais plus de chercher à le réactiver pour lui donner une actualité dans le monde contemporain ». Ceci pourdes prix allant de 2 800 euros pour un tirage issu de « Moebius Film » à 8 500 euros pour un tirage de la série « Traumachrome » en édition de 8.
Isabelle Le Minh, Before Something New,
jusqu’au 12 octobre, Galerie Christophe Gaillard, 5, rue Chapon, 75003 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°529 du 20 septembre 2019, avec le titre suivant : Isabelle Le Minh et ses fantômes

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