Hôtel Drouot : des Rouges aux Bleus

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 3 février 2011 - 768 mots

PARIS - À l’hôtel Drouot, les griefs se multiplient à l‘encontre des bleus de la société de transport d’œuvres d’art Chenue, depuis l’éviction des ex-« cols rouges ». Depuis quatre mois, les hommes de la société Chenue assurent en exclusivité la manutention à l’hôtel Drouot.

Ce service était auparavant réalisé par l’UCHV (Union des commissionnaires de l’hôtel des ventes), regroupant une centaine de manutentionnaires surnommés « cols rouges » en référence à leur veste à col Mao rouge, ou encore appelés « Savoyards » du fait de leur origine commune. Le 21 juillet 2010, la mise en examen de l’UCHV, en tant que personne morale, pour association de malfaiteurs, vols et recel de vols en bande organisée, a précipité l’éviction des cent dix « cols rouges » de Drouot. C’est ainsi qu’en septembre dernier, quasiment au pied levé, une trentaine de personnes (une cinquantaine aujourd’hui) interviennent dans les seize salles et magasins attenants du célèbre temple parisien des enchères. Ce personnel assure la mise en salle, la présentation des lots et leur stockage lorsque ceux-ci ne sont pas adjugés ou immédiatement retirés à l’issue de la vacation. Non sans mal cependant. Nombre de commissaires-priseurs sont franchement mécontents des « Schtroumpfs », baptisés ainsi en raison de leur tenue bleue attribuée par l’entreprise Chenue. Tableaux troués, nombreux objets endommagés ou brisés, mais aussi maladresses telles que des empreintes de doigts sales sur des estampes, une lenteur et un manque de bon sens auxquelles s’ajoute une absence de formation à la manipulation d’objets d’art. Ainsi, rentrant d’un déjeuner peu de temps avant le début de sa vente, un commissaire-priseur a découvert que les manutentionnaires avaient rangé les tableaux par format, sans tenir compte de la numérotation au catalogue. Pour l’instant, l’entreprise Chenue rembourse la casse sans broncher. Plusieurs commissaires-priseurs regrettent cependant le professionnalisme des ex-« cols rouges » qui maniaient les chariots au millimètre près. Le commissaire-priseur  Christophe Joron-Derem tempère toutefois ces critiques : « On est loin d’avoir 100 % de satisfecit. Mais nous avons quand même quelques équipes fiables. Il faut leur laisser un peu de temps. Les ex-cols rouges mettaient six mois pour former leurs successeurs. De toute façon, on n’a pas le choix dans la mesure où l’enquête a mis en évidence des vols mutualisés chez les cols rouges. Il n’était plus question de travailler avec eux. »

Jean « pourri » contre vareuse noire
La direction de Drouot refuse pour sa part de reconnaître l’existence d’un problème. Selon Henri Luquet (via l’agence de communication Pierre Laporte), directeur général de Drouot Holding, responsable du bon fonctionnement de l’hôtel Drouot, « il n’y a pas plus d’objets cassés qu’il n’y en avait avec les équipes précédentes. Les équipes sont tout à fait opérationnelles et les ventes se déroulent très bien. Bénéficiant d’une réputation sans reproche et d’un savoir-faire anciens, les manutentionnaires ont tout à fait trouvé leur place au sein de l’hôtel des ventes depuis leur arrivée en septembre dernier. Grâce à leur implication, ils ont su se faire apprécier autant de la clientèle que des commissaires-priseurs utilisateurs de Drouot. Chenue est un acteur historique du transport et de la manutention des œuvres d’art ; cette maison, créée en 1760, travaille pour les plus grands musées ». « Je suis navré de la communication de Drouot, déplore un commissaire-priseur parisien. Il y a de vraies difficultés. Les salariés de Chenue œuvrant dans les musées ne sont pas ceux qui sont chez nous. Les nôtres, peu ou pas expérimentés, ont été recrutés spécialement pour assurer la manutention à l’hôtel Drouot. Certains ont accepté le job parce qu’ils n’avaient tout simplement pas trouvé d’autre boulot. Il y a beaucoup de vacataires qu’il faut à chaque fois former. Ils sont peu motivés, peu rémunérés et doivent assurer des horaires difficiles. Ils partent à l’heure pile. Ce n’est pas comme cela que l’on peut faire tourner Drouot de façon opérationnelle. » Et pour nombre de commissaires-priseurs, les manutentionnaires de Chenue ne sont pas plus présentables. À leur chemise bleue, qui n’est pas d’une grande classe, portée sur « un jean pourri et des chaussures crados », est opposée la tenue chic des ex-« cols rouges », composée d’une vareuse noire, d’un pantalon noir et de chaussures en cuir ciré.  « Les manutentionnaires porteront une nouvelle tenue tout début février. Une tenue spéciale, sobre et élégante, à dominante noire, sera réservée pour les ventes de prestige », promet Henri Luquet. Mais les critiques vont plus loin. Certains déplorent le comportement et le langage de certains de ces manutentionnaires, qui dénotent dans un hôtel des ventes qui attire une clientèle haut de gamme. 

Légende photo

Façade de l'Hôtel des ventes de Drouot (Paris) en 1852 - Source Wikimedia 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°340 du 4 février 2011, avec le titre suivant : Hôtel Drouot : des Rouges aux Bleus

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