Hirst et le star system

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 2008 - 602 mots

En pleine crise financière, l’artiste Damien Hirst a réussi le pari de vendre avec succès 223 œuvres récentes aux enchères, en court-circuitant ses galeries.

LONDRES - L’artiste britannique Damien Hirst a réalisé un double exploit. Il vient d’empocher près de 100 millions de livres sterling (125 millions d’euros) en cédant aux enchères 223 œuvres récentes (essentiellement de 2008), les 15 et 16 septembre à Londres chez Sotheby’s, sans passer par la case galeries et ce, sur fond de tempête financière. Dès son annonce, cette vente avait été décriée dans le milieu de l’art contemporain (lire le JdA n°286, 5 septembre 2008, p. 17). Les analystes financiers n’y croyaient pas : cinq jours avant les enchères, l’action de Sotheby’s a perdu plus de 8 %. Parallèlement, les indicateurs étaient bons : une exposition sans précédent de Hirst qui a attiré 21 000 visiteurs en onze jours, du jamais vu pour une vente d’art contemporain.

Hirst et Sotheby’s ont fait le pari risqué que le marché de l’art mondialisé allait suivre. Mais on craignait le pire après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers qui a fait dévisser toutes les bourses mondiales le premier jour de vente. Les attentes ont pourtant été dépassées avec 70,5 millions de livres sterling (88,8 millions d’euros) de recettes. Hirst a battu son prix record en vente publique avec son Veau d’or, parti à 10,3 millions de livres sterling (13 millions d’euros). Les trois quarts des lots ont été emportés à un prix dépassant les estimations hautes. Les seuls deux invendus ont fait l’objet d’une vente privée avant la fin des enchères. « Il y avait des enchérisseurs des quatre points de la planète, et moins d’Américains que prévus à cause du lundi noir boursier. Notre département a enregistré 35 % de nouveaux clients parmi des acheteurs de la vente du soir. 18 % des acquéreurs n’avaient même jamais acheté chez Sotheby’s. On peut imaginer qu’on aurait fait 15 % à 20 % de résultats supplémentaires sans cette crise financière », commente Grégoire Billault, directeur du département d’art contemporain de Sotheby’s France. Le deuxième jour de vente a connu le même succès. Le compteur affiche un total de 111 millions de livres sterling en deux jours (140 millions d’euros).

Le marché de l’art est-il complètement déconnecté du monde de la finance ? « Le segment le plus élevé du marché de l’art est mû par une logique propre qui est assez déconnectée du reste du marché de l’art », répond le sociologue de l’art Alain Quemin. Il ajoute : « Les fortunes considérables qui ont émergé dans certains pays comme la Russie, l’Inde ou la Chine notamment, ne sont pas significativement affectées par la crise financière, en partie parce que les hommes d’affaires qui les possèdent ont souvent fondé leur immense richesse sur l’exploitation des matières premières (comme le pétrole) ou des produits (comme l’acier) dont les cours sont très hauts ».

« Cette vente aura des retombées positives sur tout le marché, affirme le galeriste parisien Patrick Bongers. Elle prouve que le marché est sain, qu’il y a beaucoup d’argent en circulation et que des collectionneurs sont prêts à débourser de grosses sommes pour de l’art contemporain ». Les galeries de l’artiste, White Cube (Londres) et Gagosian (New York), ayant enchéri pour le compte de collectionneurs, la rumeur a rapidement circulé qu’elles avaient touché une commission de Sotheby’s pour soutenir la cote de Hirst (1). Certains n’en reviennent toujours pas qu’un artiste ait pu se passer de galeries.

(1) Sotheby’s aurait alors été obligé d’annoncer qu’une des parties ayant un intérêt dans la vente était susceptible d’enchérir.

vente du 15 septembre
- Estimation : 43 à 62 millions de livres sterling
- Résultats : 70,5 millions de livres sterling (88,8 millions d’euros)
- Nombre de lots vendus/invendus : 54/2
- Lots vendus : 96 %

vente du 16 septembre
- Estimation : 25 à 36 millions de livres sterling
- Résultats : 40,9 millions de livres sterling (51,5 millions d’euros)
- Nombre de lots vendus/invendus : 164/3
- Lots vendus : 98 %

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°288 du 3 octobre 2008, avec le titre suivant : Hirst et le star system

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