Heurs et malheurs des placements en œuvres d’art

La rentabilité de ces investissements n’est jamais supérieure à celle d’autres instruments financiers

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 14 septembre 2001 - 1379 mots

Dissimulés derrière des appellations très diverses – fonds de placements en œuvres d’art, conseil en gestion patrimoniale, conseil en œuvres d’art –, les investissements des organismes financiers dans le domaine de l’art demeurent relativement rares. Ce manque d’empressement tient-il aux résultats en demi-teinte obtenus par certains fonds dont BNP Arts, créé en 1989, ou au fait que la rentabilité de ceux-ci ne soit jamais supérieure à celle d’autres placements financiers ? Pourtant, des initiatives, comme celles d’Artemis en Belgique, ont été couronnées de succès.

PARIS - “L’art pour l’art est une affreuse duperie”, se plaisait à scander l’ancien mentor de Sotheby’s, Peter Wilson. L’association de l’art et de l’argent est pourtant généralement considérée comme une odieuse mésalliance. Les investisseurs des années 1980 ont laissé la place aux cercles de collectionneurs philanthropes (voir encadré). À l’heure de la litote et de l’ellipse, les organismes financiers ont également changé leur rhétorique. La notion de fonds de placement en œuvres d’art se trouve ainsi distancée par le conseil en gestion patrimoniale. Il n’est dès lors pas anodin de constater que le département “valeurs refuges” de l’Union française de gestion (UFG) a été rebaptisé depuis trois ans “conseil en œuvres d’art”. Bien que la plaque d’entrée de la banque BNP Paribas conserve l’ancienne terminologie “investissement art”, la prudence est de mise. “L’assurance vie, les valeurs mobilières ou l’immobilier sont des investissements qui produisent des revenus. L’œuvre d’art ne produit pas intrinsèquement de dividendes. On ne peut attendre qu’une plus-value potentielle. Pour faire un bon investissement, il ne faut pas acheter une œuvre d’art en vue de placement. Si l’on fait une acquisition dans une optique de diversification de patrimoine, on réalise alors une bonne opération”, explique Fabien Bouglé, responsable du département conseil œuvres d’art de l’UFG et auteur d’un ouvrage sur l’Art et la gestion de patrimoine (éditions de Verneuil), à paraître en septembre.

Les organismes financiers ont apporté un bémol à cette idée au regard de l’échec de différents fonds de placement. Le fonds Modarco, lancé en 1972 par Paribas Suisse, procédait à l’achat et à la revente d’œuvres contemporaines en distribuant les dividendes aux détenteurs de parts. Les exigences de gain à court terme de la part des investisseurs étaient toutefois incompatibles avec les cycles d’un marché qui allait connaître le contrecoup de la crise pétrolière. Le stock fut alors récupéré par la galerie Knoedler en 1978.

Un bénéfice annuel de 4 % pour le Bristish Rail Pension Fund
Le fonds BNP Arts, créé en 1989 sous la conduite d’Éric Turquin, Bruno de Bayser et Marc Blondeau, a connu des déboires en raison de la rigidité des délais d’acquisition et de revente. Disposant d’un fonds de 100 millions de francs, les trois experts ont été contraints d’acheter en une année à la crête du marché et de revendre dix ans plus tard, alors que les prix étaient nettement à la baisse. “On a évité d’acheter ce qu’aimaient les Japonais pour nous orienter vers le summum de l’art français. Quand on a clos le fonds, la bulle a explosé. Si on avait eu la maîtrise de la revente, on aurait attendu et peut-être revendu l’année dernière. Il ne faut pas se séparer des lois du marché ni oublier de prendre en compte le phénomène des cycles. Le marché de l’art est très sensible aux rumeurs. Tout le monde savait qu’on devait vendre et les acheteurs en ont profité. Le principe du fonds n’est pas mauvais, mais il faut qu’il soit ouvert, comme un fond boursier et confidentiel”, insiste Éric Turquin. Les détenteurs de parts, qui avaient signé une cotisation de 250 000 francs et escomptaient un profit de 30 %, ont perdu 50 % de leurs investissements à la suite de la vente en janvier 1999 chez Christie’s.
Outre-Manche, le Bristish Rail Pension Fund a fait preuve d’un arbitrage intelligent dans le temps en étalant les achats de 1974 à 1980 avec un budget de 40 millions de livres, soit moins de 3 % de ses actifs. La logique de diversification des achats était également pertinente financièrement. Le programme de revente a démarré en 1987 avant d’être temporairement suspendu lors de la crise de 1990. Les ventes ont repris en 1994 jusqu’à l’année dernière. La réussite affichée du British Rail Pension Fund est à moduler, le fonds n’ayant rapporté qu’un bénéfice annuel de 4 %, compte tenu de la dépréciation monétaire. L’issue démontre que malgré le professionnalisme témoigné par la responsable des acquisitions, Ana Maria Edelstein, la rentabilité ne peut être supérieure à d’autres supports financiers. Le British Rail Pension Fund ne souhaite d’ailleurs pas engager de nouveaux investissements en matière artistique. Toujours à l’étranger, le fonds Artemis, créé par le baron Lambert en 1970, constitue un autre exemple de réussite grâce à la rapide transformation du fonds en galerie en 1974. Cotée à la Bourse de Bruxelles, la société détenue à 40 % par Axa est installée à Londres et à New York. Elle compte ouvrir prochainement un nouveau bureau à Paris sous la conduite de François Borne, expert en tableaux anciens.

Fortes de ces expériences en demi-teinte, les banques se montrent circonspectes. Le pragmatisme est de rigueur chez NSM Art, filiale du groupe ABN-Amro. Créée voilà douze ans, elle se définit comme une société de courtage et non de conseil, car, selon son responsable, “l’achat d’une œuvre d’art est individuel et ne relève pas du conseil d’une banque”. BNP Paribas et l’UFG, qui proposent depuis plus de vingt ans des conseils en achat et en vente, s’accordent toutefois à souligner le nouveau rôle stratégique des conseillers en gestion de patrimoine. “La gestion du patrimoine artistique, c’est l’avenir. Il y aura les experts, les maisons de vente, les ventes privées et les conseillers patrimoniaux, juridiques et fiscaux. L’œuvre est en fait un actif patrimonial dont il faut s’occuper. C’est une notion tout à fait nouvelle en France”, souligne Fabien Bouglé. “Il y a vingt ans, l’homme d’affaires tolérait difficilement le conseil. Aujourd’hui, il reconnaît que l’art est un domaine qu’il n’est pas évident de maîtriser. Les gens ont appris à écouter davantage un conseiller professionnel. Nous avons tout l’éventail : du collectionneur passionné qui met jusqu’à 30 à 40 % de ses biens dans les œuvres d’art à l’homme d’affaires qui se trouve à la tête d’une fortune à réinvestir, et qui n’y consacre pas plus de 5 %”, explique la responsable du département conseil en art de BNP Paribas. Les banques françaises évitent de recommander les achats d’artistes contemporains qui ne seraient pas crédités par l’histoire de l’art et le marché. “Les artistes vivants, c’est un peu le nouveau marché, l’équivalent des start-up”, justifie Fabien Bouglé. “L’art contemporain rapporte un peu plus que le livret d’épargne. Dans ce qu’on achète, il y a des choses qui restent et d’autres qui disparaissent”, confirme avec pragmatisme le galeriste Éric Dupont.

Malgré l’expérience peu encourageante des achats collectifs, une agence de communication parisienne, Art Process, entend lancer dès le mois de septembre une offre destinée aux particuliers et aux entreprises : les fonds privés d’art contemporain. Éric Mézan, directeur de l’agence, avait déjà organisé entre 1995 et 2000 un club de collectionneurs baptisé Art Maniac. Constitué sous la forme d’une société en participations, le club avait procédé à l’achat de plus de soixante œuvres. “Il y a eu beaucoup d’achats coups de cœur. Au final, il y a eu un investissement de 300 000 francs. Pour cette somme, on aurait pu avoir une collection de meilleure qualité”, reconnaît Éric Mézan. Dans un souci de professionnalisation, l’agence compte proposer une véritable ingénierie avec un conseil d’administration et des consultants extérieurs. Contrairement à la majorité des clubs qui excluent toute idée de revente, ces fonds privés pourront faire l’objet aussi bien de vente que de donation. Avec un brin d’idéalisme, Éric Mézan rapproche son initiative des fonds éthiques en vogue dans les pays anglo-saxons. “Les fonds éthiques sont des entreprises cotées en Bourse pour des raisons morales, pour des questions de respect de l’environnement ou de progrès dans les ressources humaines. Il y a maintenant des investisseurs d’un genre nouveau, prêts à s’engager dans un domaine qui ne rapporte pas immédiatement ou pas autant que d’autres supports financiers. Très naturellement, je considère qu’il est éthique de défendre l’art en souscrivant à ce genre de fonds”, défend-il.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°132 du 14 septembre 2001, avec le titre suivant : Heurs et malheurs des placements en œuvres d’art

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