Ventes aux enchères

ENTRETIEN

Henri Paul : « Une maison de ventes est un commerce de proximité »

Président du Conseil des ventes volontaires

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 7 août 2023 - 1287 mots

Le président de l’autorité de régulation des ventes volontaires, candidat à son renouvellement, fait le bilan de son action et détaille les chantiers souhaitables du futur Conseil des maisons de ventes.

Henri Paul, Président du Conseil des ventes volontaires © CVV
Henri Paul, Président du Conseil des ventes volontaires.
© CVV.
Vous avez longtemps été ambassadeur en Roumanie. Comment expliquez-vous que la guerre en Ukraine ait eu si peu d’impact sur le marché de l’art ?

Comme le marché est euphorique, cela ne se voit pas trop, mais les collectionneurs russes ont quasiment disparu des ventes publiques, donc cela a quand même un impact sur les ventes d’art contemporain et les ventes d’Empire dont ils sont friands. Et puisque vous rappelez mon ambassade, permettez-moi de dire que cette guerre épouvantable affecte une zone historique pour l’art occidental, car c’est le creuset de l’orthodoxie.

Avec 40 nouveaux opérateurs mais d’autres qui ont fermé, le nombre d’études total est de 455. Y a-t-il un marché pour 455 études ?

Oui tout à fait, et il ne faut pas avoir une vision parisienne des ventes publiques, qui ne se résument pas aux grandes ventes de collection. Une maison de ventes, c’est un véritable commerce de proximité qui permet de vendre facilement un lot de meubles ou une succession. On a besoin de mailler la France avec des salles des ventes qui, accessoirement, assurent un recyclage des voitures, meubles et même vêtements.

Mais ces opérateurs parviennent-ils tous à être rentables ?

Dans l’ensemble oui, car les frais fixes d’une salle des ventes en province sont assez bas, mais c’est un métier difficile. La faillite d’une maison de ventes il y a quelques années mise à part, il n’y a pas eu récemment de dépôts de bilan concernant des études. Nous avons aussi des indicateurs avancés qui nous permettent de suivre la situation financière des études, comme le fait d’avoir payé ou non les assurances obligatoires, et ces indicateurs sont positifs.

L’ouverture de la profession aux huissiers de justice a-t-elle eu un impact sur le marché ?

C’est encore trop tôt pour le dire.

322 réclamations ont été enregistrées en 2022 : n’est-ce pas un nombre élevé pour un canal de distribution avec 455 acteurs ?

Non, c’est un pourcentage raisonnable, et comme je regarde toutes les réclamations, je peux vous dire que les problèmes ne sont pas graves. On voit là l’intérêt du Conseil des maisons de ventes qui permet de régler gratuitement les litiges, alors que dans les pays anglo-saxons où il n’y a pas de Conseil des ventes, les litiges sont portés en justice… et on sait combien la justice est chère aux États-Unis. Le commissaire du gouvernement m’a cependant signalé une augmentation des réclamations pour les ventes en ligne. En l’absence de contact physique avec les lots, les descriptions sur Internet doivent être plus précises afin d’éviter les déceptions.

Les élections visant à désigner les représentants des commissaires-priseurs, une nouveauté introduite par la réforme de 2022, viennent de se dérouler. Qu’est-ce que cela change ?

Ce qui change, c’est que le Conseil est dorénavant constitué des six commissaires-priseurs élus par leurs pairs auxquels s’ajoutent cinq personnalités qualifiées qui seront prochainement nommées par les tutelles, dont le président. Le président dispose de deux voix. Je n’anticipe pas un clivage entre les commissaires-priseurs élus et les personnalités qualifiées, je vois dans ce conseil l’opportunité de travailler tous ensemble sur nos grands chantiers.

Vous avez déclaré que « la crédibilité de la nouvelle institution sera jugée sur sa capacité à s’imposer ». Que faut-il comprendre ?

Il y a un risque que le Conseil des maisons de ventes ne soit pas compris comme une autorité de régulation mais comme un outil de lobbying de la profession. Auquel cas je ne vois pas d’intérêt à ce que les acteurs soient en conflit les uns avec les autres : les galeries contre les maisons de ventes, les maisons de ventes contre l’État, etc. Le marché de l’art français a énormément d’atouts, mais il n’a pas les moyens de se bagarrer en interne. C’est ce que je me suis toujours efforcé de faire : rapprocher les points de vue entre les ministères et les maisons de ventes. Mais en France, nous n’avons pas l’habitude anglo-saxonne de comprendre les autorités de régulation, qui font ce que l’on appelle de la « soft law ».

Vous revendiquez d’avoir assaini les comptes du Conseil. Étaient-ils mauvais ?

À la suite d’un rapport de la Cour des comptes qui pointait des réserves trop élevées, nous avons diminué le taux de cotisation que versent les opérateurs sur leur produit d’adjudication, en le passant de 0,34 % à 0,17 %. La quasi-totalité de nos recettes viennent des cotisations. Mais ce faisant nous avons mis le budget en déficit. Grâce à la hausse des ventes, nous avons pu augmenter nos recettes sans toucher au taux, tout en réduisant nos dépenses, principalement la masse salariale. Les recettes de 2022 se sont établies à 1,5 million d’euros pour des dépenses du même montant. Mon pari a été gagné.

Ce budget comprend-il la formation des stagiaires ?

Non, c’est un budget à part de 500 000 euros environ, mais auquel le budget général contribue, par exemple pour les salaires. Quentin Loiseleur, chargé de la formation, a complètement revu cette importante mission qui nous est confiée. Cette formation dure deux ans, stages compris. Nous avons réformé les programmes avec l’aide d’un nouveau conseil d’orientation, en lui donnant une dimension plus pratique et en faisant appel à des intervenants plus qualifiés. Tout cela nous permet de franchir une étape en déposant un dossier pour obtenir l’inscription de la formation de commissaire-priseur au Répertoire national des certifications professionnelles de France Compétences. Accessoirement, ce travail sur l’inscription a abouti à une définition précise de ce métier. Auparavant on délivrait une habilitation, avec cette inscription on donne une certification. La prochaine étape, dès que le décret sera publié, c’est la mise en place d’un programme de formation continue. À terme, nous donnerons un diplôme.

Le rapport de la mission Labourdette-Giacomotto sur la sécurisation des acquisitions des musées, publié en novembre 2022, a formulé plusieurs propositions qui concernent les commissaires-priseurs. Où en est-on ?

On bute sur la règle de droit qui veut que, en matière de meubles, possession vaille titre. Et il n’est pas facile de demander à un vendeur d’où vient le bien qu’il propose. Il faut des textes qui permettent au commissaire-priseur d’être plus insistant auprès du vendeur. C’est un choix politique qui ne relève pas du Conseil. Mais le Conseil a un rôle à jouer auprès de l’État pour trouver la bonne formulation. En tout cas nous devons avancer sur le sujet de la provenance, qui me semble être devenu aussi important que celui de l’authenticité. Nous devons donner des outils aux opérateurs, par exemple un accès plus facile aux bases de données des objets volés, interconnecter ces fichiers… Cela va de pair avec notre chantier sur la formation continue. J’en profite pour ajouter un troisième chantier à ouvrir : celui sur l’estimation du prix des œuvres ; il s’agit de comprendre la mécanique de formation des prix. C’est important pour les commissaires-priseurs dont l’une des missions est de donner une valeur aux biens.

Que pensez-vous de la proposition 14 qui interdirait toute vente de gré à gré d’un objet cinq ans après une vente publique ?

La pudeur m’interdit de commenter une telle proposition.

Êtes-vous candidat à votre renouvellement ?

Le président sera nommé par le garde des Sceaux, avec toutes les personnalités qualifiées qui auront été désignées. J’ai rencontré les ministres de la Justice et de la Culture. Et, oui, je suis candidat à ma reconduction pour ce poste bénévole. J’aime ce métier bien particulier. Je souhaiterais achever ce qui a été entrepris et lancer de nouveaux chantiers qui me semblent importants. Contribuer au rayonnement de la France est le fil rouge de ma carrière, comme Joseph Caillaux dont je vais prochainement publier une édition commentée des Mémoires.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : Henri Paul, président du Conseil des ventes volontaires : « Une maison de ventes est un commerce de proximité »

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