Galerie

TENDANCE

Galeries nomades, un nouveau modèle ?

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 22 mai 2025 - 881 mots

Entre la baisse des visiteurs et l’augmentation des coûts fixes, de plus en plus de galeries d’art contemporain quittent leurs locaux et organisent les expositions de leurs artistes dans divers lieux sur un mode itinérant.

Paris. En mars dernier, Robbie Fitzpatrick – dont la galerie sise rue de Turenne (Paris-3e) a fermé ses portes en octobre 2024 – annonçait la première étape de son itinérance. Intitulé « Dépasser », il s’agissait d’un dialogue posthume entre les artistes Beatrice Wood (1893-1998) et Irène Zurkinden (1909-1987) à travers une sélection de peintures, dessins et céramiques, présentée dans l’architecture moderniste et confidentielle de la villa Ozenfant signée Le Corbusier. La programmation comprend plusieurs expositions dans divers autres endroits de la capitale, à commencer par « Silhouettes », le deuxième solo d’Arthur Marie en collaboration avec la galerie Fitzpatrick, à voir passage Sainte-Anne (2e arr.) jusqu’au 24 mai. Toujours à Paris, un accrochage consacré à Cédric Rivrain est également à l’ordre du jour, tandis qu’une exposition personnelle de Mathis Altmann aura lieu à Bâle pendant Art Basel, en juin, dans un ancien bâtiment de la poste. Cet été le programme se déplacera en Italie, « dans un palazzo de la région des Pouilles », avant d’autres événements prévus « à New York, Milan, Mexico, Los Angeles et Tokyo », annonce le galeriste.

« J’ai commencé à réfléchir à ce modèle nomade pendant la pandémie, lorsque j’assurais la transition de l’entreprise, à la suite du départ de mon associé, relate Robbie Fitzpatrick. À l’époque, je m’interrogeais sur la nécessité d’avoir un local, j’étais réticent à l’idée de signer le bail d’une galerie. Mais toutes les personnes auxquelles j’en ai parlé me mettaient en garde, insistant sur le fait que nous devions trouver un emplacement fixe sans quoi nous ne serions pas pris au sérieux. » Le galeriste n’écoute donc pas son intuition première. Il le regrette assez rapidement, alors que le marché ralentit et qu’il doit faire face aux coûts de fonctionnement et aux frais généraux. « C’était littéralement comme si le robinet s’était arrêté, mais il fallait quand même puiser dans la trésorerie pour payer le loyer, l’entreposage, le personnel, l’expédition, la production... » L’épuisement et le découragement guettent, sans aucune pause possible, dans un engrenage où les bénéfices des ventes pourvoient aux dépenses structurelles et pallient le déficit causé par les expositions. Il se sent pris au piège.

Une aventure pas non plus de tout repos

Cette lassitude, Aline Vidal l’a expérimentée différemment, lorsque, après plus de vingt ans d’activité, elle décide en 2012 de fermer les portes de son lieu de la rue Bonaparte (Paris-6e) afin d’entamer une vie de galeriste nomade. « Au tournant des années 2010, je me suis rendu compte qu’il n’y avait plus cet appétit des collectionneurs et amateurs d’art à faire le tour des galeries, je voyais progressivement de moins en moins de monde. De nombreux confrères se plaignaient aussi. » La galeriste s’explique a posteriori les raisons du changement qui s’opère alors par les nouvelles habitudes des collectionneurs, pour certains invités dans des foires de plus en plus nombreuses, tandis qu’apparaissent des galeries structurées en multinationales. Elle qui n’a pas fait HEC mais l’École du Louvre se sent un peu perdue. « J’avais un lieu formidable, un peu à l’écart, mais avec un loyer très bas… Je suis partie à regret. » Pour se lancer dans une nouvelle aventure, pas non plus de tout repos : la galerie Aline Vidal monte des expositions dans des lieux loués ponctuellement et organise chaque année « De(s)rives », un parcours d’œuvres dont la dernière édition, en mai-juin 2024, s’est tenue chez les artisans du quartier d’Aligre (Paris-12e). L’initiative relève du sacerdoce. Mais sa prochaine exposition, en juin, consacrée à l’œuvre d’Herman de Vries, méritera sans doute le détour.

Au-delà de la flexibilité et de la liberté qu’il offre, le modèle de l’itinérance est-il compatible avec la vocation commerciale d’une galerie ? Tout à fait, assure Aline Vidal : c’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle participe à quelques foires et salons, comme Around Video à Bruxelles et Drawing Now à Paris. Plus « inspiré », selon lui, qu’il ne l’a jamais été depuis l’ouverture il y a dix ans de sa première galerie à Los Angeles, Robbie Fitzpatrick estime que son choix d’exposer dans des lieux singuliers lui permet d’élargir son champ d’action, sans que le temps et les ressources dévolus à la communication n’aient significativement augmenté.

Après vingt ans d’activité rue de Seine (Paris-6e), Anne de la Roussière a pour sa part fermé en septembre 2024 les portes de la Galerie Arcturus, tout en continuant à en représenter les artistes sur Internet, avec possibilité pour leur potentiel collectionneur de voir les œuvres sur rendez-vous. Cette ex-directrice de banque organise également des expositions éphémères et propose aux entreprises et aux particuliers d’intégrer des œuvres à leurs événements – lancement de produit, soirée spéciale ou séminaire. L’art constitue en effet selon elle un excellent moyen de susciter des échanges, des émotions et de créer un souvenir collectif.

Quant à Marie Madec, la fondatrice de la galerie Sans titre, à Paris, elle se souvient que sa période nomade a correspondu « au moment où, dit-elle, nous fonctionnions comme une plateforme curatoriale. C’est un modèle beaucoup plus classique que nous avons embrassé depuis, même si nous continuons ponctuellement à faire des événements pop-up dans des espaces, souvent à l’invitation d’autres galeries ou “project-spaces” », explique-t-elle.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°655 du 9 mai 2025, avec le titre suivant : Galeries nomades, un nouveau modèle ?

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque