Alors que les ventes publiques sont à la peine partout dans le monde, le résultat des dix premiers opérateurs n’a baissé que de 0,5 % en 2024.

France. Dans un contexte de ralentissement mondial et une situation géopolitique et économique incertaine, la France semble tirer son épingle du jeu. En effet, le montant global des ventes des dix premiers opérateurs (qui représentent 70 % du CA total art) atteint 1,336 milliard d’euros (1) en 2024, contre 1,342 en 2023, soit une baisse de 0,5 % pour l’année 2024 (contre 15 % en 2023). Certes, la baisse est de 15 % par rapport à 2022 (1,5 Md€, année record), mais le total 2024 est supérieur à celui de 2019, année pré-Covid (1,068 Md €). Ceci alors que Christie’s Monde a annoncé une baisse de 16 % pour ses ventes publiques en 2024 et que Sotheby’s prévoit aussi une baisse.
Christie’s a terminé la course en tête, repassant devant Sotheby’s, avec un total de 380 millions d’euros, soit une hausse de 22 %. « Nous enregistrons une très bonne année, avec beaucoup de collections – près de 40 –, et des bons résultats dans toutes les catégories », a commenté Cécile Verdier, présidente de Christie’s France.
Sur les dix maisons de ventes considérées, la moitié affichent une hausse. C’est le cas d’Osenat (+ 25,6 %) avec un total de 48,5 millions d’euros (2), « dus à l’ouverture d’une nouvelle salle des ventes à Paris », a indiqué Jean-Pierre Osenat. Aguttes enregistre également une bonne croissance (+ 23,6 %) pour atteindre 56,6 millions d’euros, quand Piasa augmente de près de 9 % et que Millon stagne (mais le groupe grimpe à 120 millions d’euros grâce au rachat de la maison italienne Il Ponte).
Les cinq autres maisons enregistrent une baisse autour de 8 % (pour Artcurial et Bonhams Cornette de Saint Cyr) et 20 % (pour Ader et Tajan). Sotheby’s, en 2e position, baisse de 13,5 %. L’absence de lots ou de collections poids lourd a pesé dans la balance. En 2023, la maison de ventes avait dispersé la collection d’art contemporain de Pauline Karpidas pour 35 millions d’euros quand aucune collection n’a dépassé les 10 millions cette année. Drouot aussi a enregistré une baisse (– 11 %), concernant ses ventes en salle.
Comment, dans cette tendance générale à la baisse, la France a-t-elle tenu le coup ? D’abord, des collections et des enchères multimillionnaires ont fait la différence, et notamment grâce à Christie’s. En effet, la maison a dispersé la collection Barbier-Mueller, qui a rapporté 73 millions d’euros – un record mondial pour une collection d’art tribal. Elle a aussi remporté la plus haute enchère de l’année avec Le Melon entamé (1760) de Jean Siméon Chardin (26,7 M€). La politique d’estimations raisonnables que prône la maison de ventes semble porter ses fruits.

Une autre raison à ce maintien du marché français est la perte de vitesse de Londres au profit de Paris depuis le Brexit, qui y a complexifié la vente d’œuvres d’art en provenance de l’Union européenne. Même si la capitale anglaise reste la place dominante en Europe en valeur, le rapport de l’économiste Clare McAndrew indique une perte de 3 points concernant les parts de marché du Royaume-Uni (passées de 20 % à 17 % en 2023). Depuis le Brexit, Christie’s a transféré sa vente annuelle d’art contemporain italien à Paris, tout comme Sotheby’s a installé en 2024 ses ventes d’art surréaliste dans la capitale française. Bien lui en a pris puisque, d’après Mario Tavella, président de Sotheby’s France, l’auctioneer a orchestré « la vente la plus importante consacrée au surréalisme » (23 M€). Même chose pour Bonhams qui a rapatrié à Paris ses vacations d’art grec moderne ou encore ses ventes « Picassomania ».
« Paris a renforcé son statut de place forte sous l’effet de la mondialisation des foires d’art, c’est-à-dire que plus Paris est sous les projecteurs, plus les enchères en tirent profit », estime Alexandre Millon. L’arrivée de la foire Art Basel a eu un effet positif, attirant dans la capitale française de plus en plus d’acheteurs et vendeurs étrangers.
Autre explication à la résistance du marché français : contrairement à d’autres places de marché, en particulier New York, la France adjuge moins d’œuvres très haut de gamme – supérieures à 10 millions de dollars [9,7 millions d’euros] –, et s’en trouve donc moins affectée par le ralentissement. Car, selon le rapport de Clare McAndrew, c’est surtout ce segment qui avait chuté en 2023.
Enfin, les maisons de ventes l’ont bien compris, c’est en étant de plus en plus sélectives qu’elles récoltent les meilleurs fruits. « En volume, on pourrait vendre 100 fois ce que l’on nous propose, donc on refuse beaucoup de choses », révèle David Nordmann. Néanmoins, elles ont vendu davantage de lots en 2024, ainsi chez Bonhams Cornette de Saint Cyr, où leur nombre a progressé de 9 %, passant de 7 995 à 8 698 (chez Christie’s, ce chiffre est passé de 5 000 en 2023 à 5 600), tandis que chez Aguttes 101 lots de plus de 100 000 euros ont été adjugés, contre 69 l’an passé. Philippine Dupré la Tour, directrice générale d’Aguttes, explique la résilience du marché en ces termes : « Généralement très sains, les biens proposés sur le marché français sont ceux pour lesquels la demande reste très dynamique. Chez Aguttes, les œuvres présentées sont majoritairement des découvertes de qualité, des pièces souvent inédites sur le marché ou transmises sur plusieurs générations au sein d’une famille. Je pense, par exemple, à la collection Belperron achetée directement chez la créatrice ou à la statue Guanyin conservée dans la même famille depuis près d’un siècle. »
(1) Frais compris mais hors TVA. (2) Calculs réalisés pour toutes les maisons (à l’exception de Christie’s et Sotheby’s) par le Journal des Arts.
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France, les enchères font de la résistance
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°647 du 17 janvier 2025, avec le titre suivant : France, les enchères font de la résistance