Artisanat d'art - Musée - Ventes aux enchères

Fabergé, objet de toutes les convoitises

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 28 mars 2022 - 1141 mots

Si les célébrissimes œufs de Pâques sont rarissimes sur le marché, une poignée d’entre eux seulement étant passés en ventes publiques au cours des dernières décennies, les créations du « joaillier des tsars » fascinent toujours autant.

L'« Œuf à la poule » (1885) est le premier œuf de Fabergé offert par le Tsar Alexandre III à sa femme Marie Feodorovna. © Victoria and Albert Museum
L'« Œuf à la poule » (1885) est le premier œuf de Fabergé offert par le Tsar Alexandre III à sa femme Marie Feodorovna.
© Victoria and Albert Museum

Synonymes de faste et de virtuosité, les œufs Fabergé font partie des créations les plus fascinantes des XIXe et XXe siècles. Le documentaire (1) récemment diffusé sur le site Arte.fr retraçant la carrière de Carl Fabergé (1846-1920), et l’exposition (2) qui a lieu actuellement au Victoria and Albert Museum à Londres, sont l’occasion de montrer un visage plus souriant de la Russie en revenant sur l’histoire de ces œufs mythiques.

Émigrés en Russie au XVIIe siècle à la suite de la révocation de l’édit de Nantes, les Fabergé, des huguenots d’origine picarde, s’installent à Saint-Pétersbourg dans les années 1830. C’est là que Gustav Fabergé (1814-1894) ouvre une modeste bijouterie. En 1861, son fils Carl part faire le tour de l’Europe et, à son retour, entreprend de copier dans l’atelier familial les bijoux scythes conservés à l’Ermitage, ce qui lui vaut de recevoir la médaille d’or à l’exposition de Moscou en 1882. Fort impressionné, le tsar Alexandre III lui commande pour la Pâque de l’année1885 le premier œuf, qu’il offre à sa femme Maria Feodorovna : l’œuf dit « à la poule ». L’impératrice est si éblouie que le tsar prend pour habitude de commander un œuf pour chaque fête de Pâques, chacun contenant une surprise. Il y aura l’« œuf aux Palais danois » (1890), l’« œuf du Caucase » (1893) ou encore l’« œuf de la Renaissance » (1894). La tradition se poursuit avec son fils, Nicolas II, qui en offre un chaque année à sa mère, ainsi l’« œuf à l’oranger » (1911), et un autre à sa femme Alexandra Feodorovna. Parmi ces pièces, l’« œuf à la rose » (1895), l’« œuf au carrosse du Couronnement » (1897) ou l’« œuf au Transsibérien » – contenant en surprise le train en miniature (1900). Au total, 52 œufs impériaux ont été réalisés ; six ont été perdus. Dix d’entre eux sont aujourd’hui conservés au Kremlin, neuf au Musée Fabergé de Saint-Pétersbourg et quatorze aux États-Unis (répartis dans six musées).

De nombreux autres objets décoratifs signés Fabergé

La perfection des émaux, l’utilisation des pierres dures semi-précieuses, le travail du guilloché poussé à son paroxysme et les commandes impériales vont susciter l’intérêt de certains clients très fortunés, comme l’Américaine Consuelo Vanderbilt, l’industriel Alexander Kelch ou encore les Rothschild. En tout, 69 œufs (dont les œufs impériaux) seront réalisés. Douze ont disparu.

Au sommet de son activité, Fabergé emploie plus de 500 personnes, avec des succursales à Kiev, Moscou ou Londres. Mais la saga prend fin avec la révolution d’Octobre, en 1917 : les ateliers Fabergé sont convertis en fabrique d’armes et la famille se réfugie en Suisse. Confisquée, une partie des collections impériales va être vendue sous Staline, à partir de la moitié des années 1920. « Un marché va alors s’ouvrir, alimenté par deux gros acheteurs : l’anglais Emanuel Snowman, de la maison Wartski – aujourd’hui encore spécialisée dans les œuvres de Fabergé – et l’américain Armand Hammer, relate Emmanuel Ryz, spécialiste de Fabergé. À l’époque, les prix étaient parfois dérisoires mais les objets ont pris de la valeur quand, à la fin des années 1960-1970, un collectionneur privé s’est passionné pour ce marché : Malcolm Forbes. » En 2004, ses héritiers ont mis sa collection, qui comprenait neuf œufs, en vente chez Sotheby’s, mais elle a finalement été acquise avant sa dispersion par le milliardaire russe Viktor Vekselberg, pour plus de 120 millions de dollars. Elle a constitué le socle de son Musée Fabergé à Saint-Pétersbourg. « Le marché des œufs est très réduit, pour ne pas dire inexistant, puisqu’il en reste moins de dix en mains privées », témoigne le marchand Maxime Charron, expert en objets d’art russe. Parmi les ventes « récentes » figurent l’« œuf de l’hiver, 1913 » (10,7 M€ en 2002 chez Christie’s New York) et l’œuf Rothschild (12,5 M€ en 2007 chez Christie’s Londres). En 2014, retrouvé, l’« œuf à l’horloge Vacheron-Constantin » (1887) aurait été vendu 24 millions à un acheteur privé via la Maison Wartski.

Pour autant, ces œufs ont tendance à occulter l’immense diversité d’objets décoratifs produits par Fabergé, plus de 200 000 au total en trente ans. Outre les œufs et les bijoux, il y a les fleurs, figurines, cadres, pendules, boîtes, étuis à cigarettes… mais aussi les très prisées sculptures miniatures d’animaux. « Même si de temps en temps des objets passent en vente en France, le marché est surtout à Londres, où tous les ans en novembre est organisée la “Russian week”. Par rapport aux années 1970, le marché s’est restreint car beaucoup de pièces ont été rachetées par les Russes et rapatriées au pays. Et comme les objets sont de plus en plus rares, les prix sont de plus en plus élevés », observe Emmanuel Ryz. En novembre 2021, Christie’s Londres a dispersé la collection d’Harry Woolf, grand collectionneur de Fabergé, pour 6,1 millions d’euros, dont des fraises des bois en émail, néphrite et cristal de roche (382 619 €). « Hors œufs, les prix oscillent entre 1 000 euros pour un objet simple en argent et 1 million d’euros pour un objet de vitrine exceptionnel, comme la tabatière au portrait de Nicolas II (1,12 M€ en 2010 chez Christie’s Londres). Mais d’autres objets ont pu se vendre plus cher en ventes privées », indique Maxime Charron. « Je dirais que la moyenne des prix se situe autour de 60 000 euros », précise Emmanuel Ryz.

Si les Russes recherchent pour la majorité d’entre eux des œuvres typiquement russes, comme des kovch ou des pièces de l’orfèvre Feodor Rückert, dans le style néorusse en émail cloisonné, d’autres, auxquels s’ajoutent quelques collectionneurs étrangers, sont amateurs du style « occidental », comme les animaux en pierres dures ou les objets en émail guilloché. « Les acheteurs recherchent en priorité des objets tracés, en parfait état et si possible dotés d’une provenance prestigieuse. La présence de l’écrin d’origine en bouleau de Carélie ou en cuir joue aussi sur le prix », souligne Maxime Charron.

Attention aux « Fauxbergé »

C’est sous ce jeu de mots que l’on dénomme les copies des œufs Fabergé, très nombreuses, et plus ou moins bien faites. « Beaucoup se sont répandues dans les années 1980, grâce à l’utilisation de poinçons Fabergé volés à l’époque », raconte Emmanuel Ryz. Parfois, la qualité est telle qu’elle peut tromper les non-spécialistes, d’autant qu’il existe très peu de personnes au monde capables de détecter ces faux. « Mais pour les œufs, le dossier est tellement connu aujourd’hui que l’on ne pourrait pas en découvrir un sorti de nulle part : nous avons leurs descriptions grâce aux archives de la Maison Fabergé. Cependant des miracles peuvent encore avoir lieu, comme en 2014 ! », lance Maxime Charron.

(1) Fabergé. Les objets du désir, réal. Jean-Pierre Cottet et Mikhail Ovchinnikov, 2021.

(2) « Fabergé in London: Romance to Revolution », jusqu’au 8 mai. Quinze œufs impériaux y sont notamment exposés.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : Fabergé, objet de toutes les convoitises

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