Expertise : première réforme de la réforme

Un projet de loi adopté par le Sénat entend aligner le statut des experts judiciaires sur celui des experts agréés

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 27 juin 2003 - 1233 mots

Le projet de loi en cours d’examen pour réformer le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, et en particulier celui des experts judiciaires, a été amendé en première lecture par le Sénat, sur proposition du gouvernement, et adopté le 2 avril 2003. Le texte étend à l’ensemble des experts intervenant en ventes publiques les obligations que la loi de réforme de juillet 2000 n’avait imposées qu’aux experts agréés par le Conseil des ventes. Il est encore difficile de situer cette réforme : résurgence des experts judiciaires susceptible de vider d’intérêt l’agrément du Conseil des ventes ou ajustement assurant un nouvel attrait à ces dispositions ?

PARIS - Si l’introduction de dispositions relatives aux experts en ventes aux enchères apparaît inopinée, elle n’est pas complètement hors sujet. En effet, le projet préparé par le ministère de la Justice consacrait son titre V à des modifications du statut des experts judiciaires, issus pour l’essentiel d’une loi du 29 juin 1971, avec les objectifs, précisés par l’exposé des motifs du projet : “améliorer le recrutement des candidats à l’inscription sur les listes (des cours d’appel et de la Cour de cassation) et adapter le droit disciplinaire applicable à ces collaborateurs occasionnels du service public de la justice. Le renforcement en droit de la procédure, des exigences qui s’imposent à l’expert judiciaire, notamment au regard du principe du contradictoire, d’une part, l’évolution des techniques qui affectent l’exercice de son art et la complexité croissante des missions qui lui sont confiées, d’autre part, sont autant de facteurs qui rendent indispensable une amélioration de la sélection des experts.”

De ces considérations, concernant toutes les branches de l’expertise, le projet déduit certaines règles nouvelles :
– la création d’un régime probatoire de deux ans pour l’inscription initiale sur les listes des cours d’appel, pendant lequel sont évaluées “l’expérience de l’intéressé et l’acquisition des connaissances juridiques nécessaires au bon accomplissement de ses missions” ;
– une réinscription (supposant de réitérer la demande au terme de la période probatoire) pour cinq ans, renouvelable sur nouvelle demande de l’expert et avis motivé d’une commission. Jusqu’alors, l’inscription était valable un an mais renouvelable sans nouvelle demande, ce qui créait de fait “un caractère d’automaticité préjudiciable à la qualité du recrutement” ;
– l’introduction d’une échelle des sanctions disciplinaires par l’institution de peines d’avertissement puis de radiation temporaire jusqu’à trois ans avant la radiation définitive, actuellement unique ;
– la limitation à dix ans à compter de la fin de sa mission du délai d’action en responsabilité civile contre un expert judiciaire ;
– la création sur proposition du Sénat d’une commission composée de représentants des juridictions et d’experts, chargée de donner un avis motivé sur les candidatures des experts (un décret en Conseil d’État déterminerait la composition et les règles de fonctionnement de la commission).

Uniformisation des règles applicables aux experts en ventes aux enchères
À l’occasion du débat au Sénat, le gouvernement a proposé et obtenu des mesures d’ajustement des règles établies par la loi du 10 juillet 2000, reprises dans le code de commerce.

Responsabilité, solidarité, assurance
En premier lieu, le texte prévoit de modifier l’article L 321-17 du code de commerce (qui résultait de la codification de l’article 30 de la loi de réforme) en étendant “aux experts qui procèdent à l’évaluation des biens” la responsabilité résultant des ventes de meubles aux enchères publiques, que le 1er alinéa de l’article ne mentionnait que pour les SVV et officiers ministériels organisateurs.
Corrélativement, la responsabilité civile des experts (agréés ou non agréés) se trouvera limitée à dix ans, à compter de l’adjudication ou de la prisée, comme cela est stipulé par le 3e alinéa de l’article L 321-17.
Enfin, l’article L 321-31 du code de commerce sera modifié pour imposer à tous les experts intervenant en ventes publiques la souscription d’une assurance de responsabilité professionnelle et affirmer la responsabilité solidaire de l’expert (agréé ou non par le Conseil des ventes) avec l’organisateur de la vente.

Prohibition des ventes des experts dans les vacations qu’ils contrôlent
Le texte étend à l’expert non agréé par le Conseil des ventes les interdictions édictées par l’article L 321-35 du code de commerce “d’estimer (ou) de mettre en vente [un] bien lui appartenant (ou) de se porter acquéreur directement ou indirectement pour son propre compte d’un bien dans les ventes aux enchères publiques auxquelles il apporte son concours”.
Toutefois, le projet fait bénéficier les experts d’une faveur strictement alignée sur celle accordée aux dirigeants, associés ou personnels des SVV (art. L 321-4 al. 2 du code de commerce) en prévoyant que, “à titre exceptionnel, l’expert peut cependant vendre par l’intermédiaire d’une SVV (ou d’un officier ministériel) un bien lui appartenant à condition qu’il en soit fait mention dans la publicité” (alinéa ajouté à l’article L. 321-35).
Le projet complète l’article L 321-35 d’un article L 321-35-1 qui prévoit que, “lorsqu’il a recours à un expert qui n’est pas agréé, l’organisateur de la vente veille au respect par celui-ci des obligations” (relative à l’assurance et à l’interdiction de vente ou d’achat). Pendant les débats au Sénat, un sous-amendement destiné à assortir cette mission de surveillance d’une responsabilité disciplinaire des SVV et deux amendements, visant à imposer des sanctions pénales aux experts (un an d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende) et à élargir les pouvoirs de contrôle du Conseil des ventes dans ce domaine, n’ont pas été retenus.

Quel impact pour cette nouvelle donne de l’expertise ?
D’une certaine manière, cette harmonisation dont la cohérence est indiscutable – comment pouvait-on justifier et mettre en œuvre durablement des régimes de responsabilité et d’activité à deux vitesses ? – va peut-être contribuer à clarifier l’intérêt de la réforme sur l’expertise. On peut en effet considérer que, pour l’instant, la procédure d’agrément par le Conseil des ventes est un échec, la plupart des experts renommés l’ayant boycotté. À quoi celui-ci est-il dû ? Schématiquement, le Conseil des ventes soutient que c’est l’interdiction de vendre ou d’acheter dans les ventes aux enchères qui explique l’abstention des experts. Ces derniers réfutent l’argument, qu’ils considèrent comme un procès d’intention. Ils exposent que l’agrément n’apporte rien de vraiment positif, sinon une tutelle coûteuse ; que le dispositif initial cristallisait un traitement préférentiel au profit des SVV et des responsabilités additionnelles sans autre contrepartie qu’un titre. Titre dont la réputation, toujours selon les experts, reste à faire, et qui est pour l’instant sans équivalent, au plan du crédit professionnel, avec les inscriptions sur les listes des cours d’appel ou des douanes. La réforme de l’expertise judiciaire pourrait renforcer indirectement cet argument.

Après l’adoption du nouveau dispositif, la partie de l’expertise va se jouer sur un terrain nivelé. On peut d’ailleurs se demander si le gouvernement et le législateur n’entendent pas se donner le temps de porter un jugement en fonction de l’évolution du jeu. Ainsi, la commission des lois du Sénat a donné un avis défavorable à deux amendements “tendant à insérer des articles additionnels en vue d’accroître les prérogatives actuelles dévolues au Conseil des ventes aux enchères publiques. Le rapporteur a fait valoir que, sans être dénuées d’intérêt, ces propositions paraissaient encore prématurées, compte tenu de la création récente de cette autorité” (Rapport n° 226 par M. Jean-René Lecerf).

Ce sont sans doute les professionnels concernés qui, par leur refus ou leur ralliement à l’agrément, trancheront sur ce point le débat, de moins en moins feutré, entre le Conseil des ventes et certaines organisations professionnelles, emmenées par le Symev.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°174 du 27 juin 2003, avec le titre suivant : Expertise : première réforme de la réforme

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