Edward Dolman : Christie’s compte sur Paris

Entretien avec Edward Dolman, son directeur général

Le Journal des Arts

Le 24 janvier 2003 - 1232 mots

Depuis 1984, Edward Dolman officie au sein de Christie’s à New York. Cet ancien rugbyman, spécialiste de mobilier et directeur général de la société depuis 1999, a vu son rôle et ses responsabilités s’accroître depuis le départ de lord Charles Hindlip de la présidence de l’entreprise. Dans un entretien, il revient sur la situation actuelle de la maison de ventes contrôlée par François Pinault.

Vous êtes toujours le directeur du conseil international de gestion de Christie’s, position renforcée par le départ de lord Charles Hindlip à la fin de l’année dernière, puisqu’il ne sera pas remplacé. Patricia Barbizet est à présent directrice du conseil international de la société, ce qui implique une plus grande influence de la France. Alors, qui dirige réellement Christie’s ?
C’est moi. M. François Pinault a toujours été clair : c’est le conseil de gestion de Christie’s qui doit diriger l’entreprise. La recherche directe de clients et de marchandises, qui était l’un des rôles attitrés de Charlie Hindlip, relèvera désormais de la responsabilité des différents directeurs régionaux partout dans le monde.

Le fait que lord Charles Hindlip ne soit pas remplacé marque-t-il un changement d’orientation dans le choix des dirigeants des maisons de ventes, les gestionnaires remplaçant les aristocrates aux riches carnets d’adresses ?
Non. En ce qui concerne la recherche de clients et de marchandises, la configuration de notre équipe dépend des régions d’approvisionnement ; le Royaume-Uni représente un immense réservoir d’œuvres de valeur et le restera dans un avenir proche. Il est important d’entretenir de bonnes relations avec les grandes familles de l’aristocratie terrienne.

Oui, mais ces familles sont surtout une source d’approvisionnement en œuvres de maîtres anciens ou en céramiques, alors qu’aujourd’hui, le domaine le plus lucratif est l’art contemporain.
Nous trouvons une quantité importante d’œuvres au Royaume-Uni, surtout auprès de nos sources habituelles. Prenez par exemple la vente Longleat – qui a généré 41,62 millions d’euros – ou la Vénus de Jenkins – vendue 12,16 millions d’euros. Dans les autres pays européens, traditionnellement, les grandes familles fortunées ont tendance à collectionner davantage d’art contemporain, particulièrement en Suisse, en Allemagne, en France et en Italie.

Que dire des nouveaux collectionneurs dont la fortune est récente, comme Steve Wynn ?
En effet, les fortunes nouvellement acquises sont de plus en plus présentes sur le marché de l’art. Mais surtout, ces personnes sont de plus en plus riches et, les œuvres de grande qualité se faisant rares, elles engendrent des rivalités.

Pourtant, le chiffre d’affaires réalisé par les ventes d’art dans le domaine des enchères a baissé l’année dernière.
Il est bien évident que le marché de l’art a toujours été cyclique. Nous savons à présent que le dernier boom s’est produit en 2000. Depuis, le marché est en perte de vitesse, mais les ventes de Christie en 2002 sont comparables à celles de 2001 et c’est pourquoi nous pouvons espérer une reprise.

L’économie étant actuellement chancelante, ne pensez-vous pas que nous risquons plutôt d’entrer dans une phase de récession ?
Je pense que le marché de l’art va remonter la pente, mais je ne peux pas dire si ce sera dans trois, six ou dix-huit mois. L’art est aujourd’hui considéré comme un investissement alternatif, les gens veulent des portefeuilles d’actifs plus diversifiés. Les revenus boursiers comme les autres investissements étant actuellement faibles, je suis sûr que certains prix élevés, ainsi que des résultats impressionnants en art contemporain, ont pu être réalisés grâce à ceux qui recherchent des placements alternatifs. Par ailleurs, l’art est de plus en plus perçu comme une valeur sûre, et acheté et vendu comme tel. Nous avons vu des œuvres revenir très vite sur le marché, et se revendre à des prix plus élevés. Cela n’aurait pas été possible il y a quinze ans.

L’art contemporain a réellement décollé en 2002. Poursuivra-t-il son ascension ?
L’art contemporain représente une part importante du chiffre d’affaires et génère des bénéfices notables. De plus en plus d’œuvres partent à plus d’un million de dollars, et je pense que ni leur valeur ni l’intérêt qu’elles suscitent ne vont s’étioler. Cependant, il ne faut pas trop se fier aux résultats des ventes d’art contemporain de novembre, c’est trop tôt pour prédire la fin de l’impressionnisme et de l’art moderne. En novembre, les ventes ont souffert de l’absence de lots de grande qualité.

Note-t-on une croissance similaire dans d’autres domaines ?
Dans une moindre mesure, les arts décoratifs du XXe siècle suscitent de plus en plus d’intérêt – avec des designers tels Frank Lloyd Wright, Louis Comfort Tiffany, et René Lalique – et génèrent beaucoup d’argent. Par exemple, nous avons vendu en décembre dernier une lampe de Frank Lloyd Wright au prix de 1,989 million de dollars.

Depuis un peu plus d’un an, Christie’s organise des ventes à Paris. Les résultats justifient-ils l’investissement considérable qu’a représenté l’installation du siège de la société avenue Matignon ?
Nos ventes progressent bien, dans plusieurs catégories, et nous prévoyons une croissance importante de leur volume. Il ne faut pas oublier que les ventes parisiennes ne sont qu’un aspect de notre entreprise ; nous cherchons en France des œuvres pour Londres et New York, et les exportations depuis la France restent importantes. Nous prévoyons d’augmenter le nombre de ventes et nous entrevoyons un retour sur investissement et sur nos frais engagés à Paris, même sans prendre en compte la marchandise que nous exportons dans le reste du monde.

Les États-Unis prennent de plus en plus de parts sur le marché mondial des enchères, et l’Europe augmente ses taxes. Alors, quel avenir pour le marché parisien ?
Le fait est que pour la première moitié de l’exercice 2001, les ventes européennes ont dépassé les ventes américaines, mais il ne fait aucun doute que New York est le plus grand centre d’enchères au monde, et je pense qu’il le restera. Mais puisque les ventes ne représentent qu’un aspect de notre installation en France, nous devons trouver des vendeurs et des sources d’approvisionnement, et l’Europe reste un creuset en la matière.

Où en est le procès pour collusion et entente sur les prix avec Sotheby’s ?
Aux États-Unis, les clients ont été contactés par l’administrateur. Ils ont été invités à confirmer leurs statuts et à s’inscrire afin de pouvoir se partager une partie de l’argent placé sur un compte bloqué. En Grande-Bretagne, en ce qui concerne l’action menée par le British Class Law [société d’avocats spécialisé dans les actions en justice groupées], rien de formel n’a été entrepris pour l’instant.

Quels changements avez-vous observé dans votre secteur d’activité ?
Au cours des vingt dernières années, nous sommes devenus plus que de simples auctioneers. Aujourd’hui, nous occupons des places importantes et certaines de nos activités s’assimilent à celles de banques. Je pense que nous continuerons à nous perfectionner dans le domaine des services financiers.

Quel est le plus grand défi à relever ?
Il faut s’assurer que nous exploitons au maximum notre position sur le marché. Le nouvel arrivant dans notre secteur d’activités, Phillips, de Pury & Luxembourg, a provoqué beaucoup de turbulences. Mais nous sommes bénéficiaires en 2002, nos recettes sont nettement plus importantes que celles de notre concurrent, et nous ne dépendons pas autant que lui du système des garanties.

Votre éventuel emménagement à Somerset House est-il toujours d’actualité ?
Il se trouve que l’espace de Somerset House ne pourra pas être libéré comme nous le pensions, ce qui remet en question, pour l’instant, notre intention de déménager. La situation est au point mort.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°163 du 24 janvier 2003, avec le titre suivant : Edward Dolman : Christie’s compte sur Paris

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