Antiquaire

ENTRETIEN

Christian Deydier : « Je n’ai plus ni le goût ni l’envie d’exercer mon métier en France »

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 15 mai 2025 - 951 mots

Le marchand d’art asiatique ferme définitivement sa galerie parisienne et se replie à Hongkong. Il se livre ici sans détour, avec le franc-parler qui l’a toujours caractérisé.

Christian Deydier. © Lucien Chan
Christian Deydier.
© Lucien Chan, 2025
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à prendre la décision de fermer votre galerie parisienne, où vous exerciez depuis 2003 ?

Christian Deydier : La législation et les réglementations françaises et européennes, de plus en plus complexes, qui nous entravent dans l’exercice de notre profession. Pour circuler en Europe, il faut un certificat de bien culturel : obtenu normalement en trois-quatre mois, les derniers ont mis six mois [à lui parvenir]. Pour une sortie hors Europe, il faut une licence, que l’on ne peut demander qu’une fois l’objet vendu. En général, cela prend douze jours, mais parfois on attend plus de deux mois. Que dire au client ? c’est l’administration française ! À Bruxelles, on l’obtient en quinze jours, à Londres, en deux. Et depuis le Covid, les choses ont empiré car les fonctionnaires sont en télétravail…
Dans deux mois, la nouvelle réglementation sur les importations va s’appliquer. Il faudra apporter la preuve de la légalité de la sortie de l’objet de son pays d’origine. Mon grand-père, qui était orientaliste et avait ouvert sa librairie en 1928, était l’ami de l’archéologue Paul Pelliot (qui a découvert les manuscrits de Dunhuang). Celui-ci lui a offert des objets – toujours dans ma famille depuis les années 1920, jamais publiés ni exposés. Comment je prouve qu’ils sont en France depuis, alors qu’à l’époque il n’y avait pas de législation en Chine ? Inondé de formalités, je n’ai plus ni le goût ni l’envie d’exercer mon métier en France. Et puis je suis déçu par l’ingratitude des musées. J’ai donné énormément à Guimet et je n’ai même pas été invité au dîner des donateurs…

Vous vous rabattez sur votre galerie de Hongkong. Y aurait-il moins de contraintes là-bas ?

C.D. : Oui, je vais continuer à y travailler, et ce, dans la plus belle galerie de Hollywood Road, près du temple – tous les étrangers passent devant. À Hongkong, les imports sont faciles car il n’y a pas de documents, pas de livre de police – même si je reconnais que c’est une sécurité pour protéger l’antiquaire.

Bodhisattva assis en lalitasana ou "délassement royal", bois sculpté, Chine, dynastie Song ou Jin, fin du Xème - début du XIIème siècle, h. 123 cm. © Vincent Girier-Dufournier
Bodhisattva assis en lalitasana ou « délassement royal », bois sculpté, Chine, dynastie Song ou Jin, fin du Xe - début du XIIe siècle, h. 123 cm.
© Vincent Girier-Dufournier
En guise d’adieu, vous organisez une ultime exposition en France, intitulée « Qi », où sept objets sont dévoilés.

C.D. : Dans la tradition chinoise, le « 7 » représente le Qi, la « force vitale ». Parmi ces objets figurent un Bodhisattva Song (ou Jin) assis en lalitasana (« délassement royal »), en bois sculpté ; un Bouddha assis en méditation en calcaire gris de la fin du VIe siècle ; un cheval Han en bronze ; un rare vase zun des Qi du Nord, en terre cuite émaillée trois couleurs, ou encore un éléphant marchant Tang en terre cuite.

Comment se porte votre spécialité et comment analysez-vous le marché français ?

C.D. : En tant que spécialiste d’archéologie des bronzes et d’orfèvrerie chinoise ancienne, [je peux affirmer que] le marché est plus difficile parce que les gens veulent des provenances, ils ont peur des faux. Ils ne comprennent pas que la provenance ne garantit pas obligatoirement l’authenticité de l’objet. Plus globalement, ce n’est pas tellement le marché le problème, c’est plutôt le public qui se laisse aveugler par le marketing, la mode qui dicte les règles et dit qu’il faut acheter de l’art contemporain. Et puis avant, il y avait un syndicat qui nous défendait…

Justement, que vous inspire la fin de la Biennale des antiquaires ?

C.D. : Ce n’est plus une biennale, c’est une « annale » morte. Sans compter que le syndicat n’a plus de locaux, plus d’argent. Que s’est-il passé ? Quand j’étais président du Syndicat national des antiquaires [de 2002 à 2008 puis de 2010 à 2014, ndlr] et qu’il y avait un problème, j’allais dans le bureau du ministre. Maintenant, ils ne sont même pas reçus.

Qu’est-ce qui a « tué » la Biennale selon vous ?

C.D. : Mes successeurs ont oublié que c’étaient les joailliers qui payaient tout. Quand Cartier invitait ses 200 plus gros clients, tous frais payés, ce n’est pas nous qui les faisions venir. Et ils n’achetaient pas que des bijoux. On m’a aussi reproché de faire venir des peoples alors que cela faisait parler de nous dans la presse !

Vous avez l’air amer…

C.D. : Je suis triste. Je me suis dépensé sans compter, bénévolement, en négligeant mon travail à la galerie. Et je me suis fait évincer trois mois avant la Biennale de 2014 parce que j’avais étudié le projet d’exposer à Shanghaï en dehors des « années Biennale », sous réserve de modification de la loi chinoise. Ils m’ont accusé d’avoir investi à Shanghaï, alors que j’avais fait le voyage à mes frais. J’ai été accusé de tous les maux, comme d’avoir détourné de l’argent, mais l’audit a révélé qu’en dix ans de mandat je n’avais dépensé que quatre taxis. Parce que tous les dîners, je les payais de ma poche. On m’a aussi jalousé d’avoir fait partie du voyage du président Jacques Chirac en Chine : ce n’est pas le président du syndicat qui était invité mais Christian Deydier, spécialiste de la Chine, l’ami personnel, connu en Chine, apprécié par le milieu des archéologues et professeurs. C’était normal qu’on me sollicite ! Même chose avec le président Nicolas Sarkozy à Xian en 2010.

Que faut-il faire pour que le salon [aujourd’hui dénommé FAB Paris] retrouve son lustre ?

C.D. : C’est fini. Les joailliers ont trouvé une autre façon de vendre. Il faudrait tout reprendre à zéro mais il n’y a pas vraiment de relève. On me traitait de tyran et maintenant, ceux qui m’ont craché dessus disent : « Christian tu ne veux pas revenir ? ». Ah non, débrouillez-vous, je suis trop vieux [il a 75 ans, ndlr], et je n’ai plus rien à prouver dans mon métier.

Le Qi, la force vitale,
du 4 au 21 juin, galerie Christian Deydier, 30, rue de Seine, 75006 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°655 du 9 mai 2025, avec le titre suivant : Christian Deydier, antiquaire : « je n’ai plus ni le goût ni l’envie d’exercer mon métier en France »

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