Art contemporain, on croit marcher sur la tête !

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 29 mai 2008 - 785 mots

Chutera ? Chutera pas ? Les acteurs du marché de l’art contemporain ne savent plus sur quel pied danser. Les prévisions tranchent avec les prix astronomiques.

Le marché de l’art contemporain aime se faire peur au moindre couac pour ensuite s’égayer à la moindre performance. L’Art Market Confidence Index lancé par Artprice avait ainsi ouvert le 28 janvier dans le rouge. 51 % des acteurs du marché de l’art interrogés étaient persuadés que la conjoncture économique serait défavorable dans les trois prochains mois.

Les taux d’invendus témoignent d’un certain ralentissement
Toujours en janvier, un autre sondage, cette fois d’ArtTactic, centre de recherche basé à Londres, observait que la confiance dans le marché de l’art contemporain avait chuté de 40 % sur les six derniers mois. « Il est clair que les sondés ne croient plus que le marché de l’art puisse être détaché des réalités économiques », précisait cette étude.
ArtTactic en a rajouté une couche au lendemain des ventes londoniennes de février, lesquelles avaient pourtant rapporté 189,8 millions de livres sterling (240 millions d’euros). Selon lui, près de 60 % des lots mis en vente n’ont pas atteint les prix escomptés. Plus grave, il soulignait que seuls dix lots représentaient 70 % de la valeur des ventes aussi bien chez Christie’s que Sotheby’s (lire l’éditorial L’œil n° 601).
Les œuvres d’artistes à la mode firent alors les frais de cette crispation. « Les maisons de ventes augmentent continuellement leur mise dans le haut du panier, observait Anders Petterson, directeur d’ArtTactic. Mais cela masque le fait que la demande se ralentit dans le milieu du marché. » Un ralentissement à l’aune des taux d’invendus de 30 à 40 % à Londres et jusqu’à près de 50 % dans les ventes d’art contemporain en France. Face à cette contraction du marché, Christie’s avait réduit de 24 % le nombre de ses lots dans la vente du soir du mois de mai. Néanmoins, malgré les avertissements, les auctioneers avaient parié sur des estimations outrancièrement élevées.
Ces jeux de menuet sur le plan stratégique révèlent une chose : le marché manque furieusement de logique. Si une hirondelle ne fait pas le printemps, une mévente ne signe pas plus l’apocalypse.
Christie’s a certes dû remiser trois tableaux de Rudolf Stingel invendus coup sur coup le 6 février 2008. Mais le 28 février, Phillips a, lui, cédé trois autres œuvres de cet artiste, au ras de l’estimation. Par ailleurs, chez Sotheby’s, plusieurs œuvres d’art contemporain chinois sont restées sur le carreau, excepté les quatre tableaux de la collection Marcel Brient. Mais dès le lendemain, Phillips a très bien vendu sa sélection chinoise. Allez comprendre !

Les transactions privées atteignent des sommes records
Côté ventes privées, le commerce semble ralentir. L’annonce en avril d’une transaction privée phénoménale, celle de la succession d’Ileana Sonnabend, a toutefois ragaillardi les marchands. Les héritiers de la galeriste, décédée en octobre dernier, ont cédé une dizaine d’œuvres pour une valeur de 600 millions de dollars (386 millions d’euros). D’après le New York Times, le marchand Larry Gagosian aurait emporté un noyau de tableaux de Warhol pour 200 millions de dollars (129 millions d’euros). De son côté, le cabinet de courtage Giraud-Pissarro-Segalot aurait acheté pour 400 millions de dollars d’œuvres (258 millions d’euros), notamment un lapin de Koons estimé 85 millions de dollars (55 millions d’euros), ce pour le compte d’un petit groupe de clients, dont François Pinault.
La révélation de ce deal colossal n’est pas sans rappeler d’autres annonces tonitruantes effectuées en 2005. Le New York Times avait ainsi révélé la vente par le producteur de cinéma David Geffen d’un tableau de Jackson Pollock pour 140 millions de dollars (90 millions d’euros).
De fait, après avoir retenu leur souffle, les acteurs du monde de l’art contemporain sont persuadés qu’une fois encore, ils échapperont à la crise. Un des motifs de leur optimisme ? L’entrée en lice des pays émergents. Le futur Guggenheim à Abou Dhabi, dont le budget d’acquisition, secret, devrait tourner autour de 145 millions d’euros ou la fondation Victor Pinchuk ouverte en 2003 à Kiev donnent des perspectives.
Reste que certains nouveaux venus se révèlent souvent imprévisibles. Sortis comme des diables de leurs boîtes, ces acheteurs providentiels sont actifs une saison, mais pas forcément la suivante.

Repères

L’Armory Show
(New York) : en mars 2008, les marchands étaient particulièrement crispés à l’ouverture de la foire. Les affaires y furent globalement correctes, sans qu’on puisse toutefois parler de succès.

Art Paris
(Paris) : plus moderne que contemporaine, la foire parisienne a fait les frais des inquiétudes sur l’économie française. Faute d’une clientèle internationale, elle affiche un bilan commercial mitigé.

Art Brussels
(Bruxelles) : reposant uniquement sur une clientèle franco-belge, le Salon a généré un commerce en demi-teinte.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°603 du 1 juin 2008, avec le titre suivant : Art contemporain, on croit marcher sur la tête !

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