Galeriste à Paris

Anne de Villepoix : « Il existe une synergie à Paris entre les galeries et les musées »

Dans un entretien, Anne de Villepoix s’inquiète des dérives du marché de l’art contemporain

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 10 avril 2013 - 752 mots

Galeriste à Paris depuis 1990, installée rue de Montmorency, dans le 3e arrondissement depuis 2001, Anne de Villepoix possède ce qu’il est convenu d’appeler un œil.

La liste des artistes qu’elle a exposés la première à Paris et qu’elle a très souvent défendus dès leurs débuts est d’une richesse impressionnante. Qu’on en juge : Rosemarie Trockel, Yan Pei-Ming, Joyce Pensato, Fred Tomaselli, Martha Rosler, Luigi Ghirri, Chris Burden, Sam Samore, John Coplans, Jean-Luc Moulène, Valérie Jouve, Stéphane Pencréac’h, Barthélémy Toguo, Mark Bradford, Fischli & Weiss ou encore Wangechi Mutu… Si Anne de Villepoix collabore encore avec plusieurs de ces artistes, beaucoup ont rejoint les plus grandes galeries new-yorkaises et internationales, confortant sa réputation de découvreuse de talents. La galeriste commente l’actualité du marché de l’art.

Alain Quemin : Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans la situation actuelle du marché de l’art ?
Anne de Villepoix : La course permanente à l’argent, au profit, prend désormais des proportions assez inquiétantes. Plus qu’aux œuvres elles-mêmes, plus qu’au travail des artistes, beaucoup de gens me semblent surtout s’intéresser au record des prix en salles des ventes. Quant aux acheteurs, ceux qui ont acquis leurs œuvres à des prix colossaux veulent les revendre encore plus cher, les prix sont devenus insensés.

A.Q. : Relativement au contexte économique, constatez-vous au niveau de votre galerie des départs d’amateurs français à l’étranger ?
A.d.V. : Oui, bien sûr, le phénomène existe incontestablement, avec des départs vers la Belgique, la Suisse, le Royaume-Uni, mais aussi les États-Unis, le Brésil ou Singapour. Il ne faut pas se leurrer, on ne sait pas vraiment où va le marché de l’art en 2013 dans un contexte économique aussi incertain. Heureusement, les collectionneurs français sont de vrais amateurs qui ne spéculent guère.

A.Q. : Que vous inspire la fermeture fin mars de la galerie Jérôme de Noirmont, après vingt ans d’activité ? Comment expliquez-vous cette décision ?
A.d.V. : C’est un choc pour le milieu de l’art parisien, mais aussi une réalité qui questionne le devenir de nos galeries et notre utilité dans un contexte où tout le monde devient acteur, prescripteur, « adviser », où nous devons lutter contre des mégastructures implantées dans différents pays qui monopolisent le marché et imposent leurs tendances.

A.Q. : Que pensez-vous de l’annulation du « Week-end galeries » [prévu initialement début avril] à Paris ?
A.d.V. : C’est regrettable. Il faut créer une synergie entre les galeries et leur donner une visibilité, car nous sommes noyés dans une offre culturelle, artistique, extrêmement riche à Paris. Peu de villes au monde rivalisent avec Paris de ce point de vue-là. C’est impossible de tout voir, les amateurs d’art sont obligés d’être très sélectifs car ils font aussi les foires et biennales à l’étranger. Donc il faudrait imposer un événement qui puisse devenir incontournable.

A.Q. : Qu’y a-t-il de nouveau qui puisse apparaître positif ?
A.d.V. : Un très net progrès est qu’il existe désormais une vraie synergie à Paris entre les galeries et les musées. Les institutions ont compris qu’elles doivent jouer la carte de Paris et organiser leurs vernissages pendant la Fiac [Foire internationale d’art contemporain], par exemple ; elles ne considèrent plus le marché avec méfiance. Tout le monde est gagnant grâce à ce travail désormais mieux coordonné.

A.Q. : N’y a-t-il pas d’inconvénients ?
A.d.V. : Si, bien sûr, le vrai problème se situe plutôt dans l’excès de l’offre que dans son insuffisance. Avec la profusion d’événements, les clients des galeries sont très sollicités, notamment par les institutions, ils ont de moins en moins le temps de venir dans les galeries voir les expositions que nous proposons.

A.Q. : Le rapport au temps a-t-il changé ?
A.d.V. : Complètement ! Avant, on développait la carrière d’un artiste sur la durée. Désormais, il faudrait faire des artistes stars en deux ans ! C’est insensé. Quand j’ai commencé, on attendait deux ou trois ans pour voir, lors de l’exposition suivante d’un artiste, comment évoluait son travail ; on allait à l’étranger pour découvrir une exposition en galerie ! Maintenant, les artistes montrent leur nouveau travail en quelques pièces sur les stands des foires. Comme les gens se déplacent moins dans les galeries, la logique veut que l’on allonge la durée de nos expositions. On zappe désormais beaucoup, je trouve cela dommage et réducteur.

Galerie Anne de Villepoix

43, rue de Montmorency, 75003 Paris, tél. 01 42 78 32 24, du mardi au samedi 10h-19h, www.annedevillepoix.com. « Derrick Adams, becoming one with our environment », jusqu’au 25 mai.

Légende photo

Anne de Villepoix. © Photo : Marie Clérin

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°389 du 12 avril 2013, avec le titre suivant : Anne de Villepoix : « Il existe une synergie à Paris entre les galeries et les musées »

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