Droit

Droit d’auteur

Alexandra Exter, un droit moral parfois chaotique

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2015 - 934 mots

Depuis 2012, la titularité du droit moral de l’artiste Alexandra Exter est l’objet d’une bataille judiciaire. Aux décisions du TGI de Paris s’opposent systématiquement celles de la cour d’appel de Paris.

En quatre ans, l’Association Alexandra Exter a été habilitée à quatre reprises, en vertu d’une ordonnance rendue par le tribunal de grande instance de Paris, à exercer les fonctions de mandataire ad hoc chargé de défendre le droit moral d’Alexandra Exter (1882-1949) pour une année. Deux décisions de la cour d’appel de Paris datées du 10 septembre 2015 ont prononcé la rétractation des ordonnances de 2013 et 2014, celle de 2012 ayant déjà fait l’objet d’une solution identique le 25 juin 2013, solution confirmée par la Cour de cassation le 18 décembre 2014. Pour autant, l’association continue à exercer une telle charge en vertu d’une ordonnance du 14 janvier 2015.

Défaut d’héritier
Une telle situation est doublement inédite en raison de l’opposition systématique qui se joue entre les deux degrés de juridiction comme en raison du fondement juridique mobilisé pour parvenir à pareilles solutions. Ainsi, l’article L. 121-3 du Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’en « cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur décédé visés à l’article L. 121-2, le tribunal de grande instance [TGI] peut ordonner toute mesure appropriée ». Et l’article de préciser qu’il « en est de même s’il y a conflit entre lesdits représentants, s’il n’y a pas d’ayant droit connu ou en cas de vacance ou de déshérence ». Ces dispositions sont très rarement mobilisées et il s’agit ici d’une hypothèse quasi inédite de la désignation d’une association créée au profit de la défense de l’œuvre d’un artiste.

Mais une telle hypothèse n’a pu se présenter que du fait du décès de la peintre d’origine russe Alexandra Exter, en 1949 à Paris, dans le plus grand dénuement et sans laisser d’héritier. Un exécuteur testamentaire avait pourtant été désigné en la personne de l’artiste Simon Lissim, mais le décès de ce dernier, en 1981, vint à nouveau paralyser la transmission du droit moral. Depuis lors, le droit moral d’Alexandra Exter se trouvait en déshérence, alors même que son œuvre suscite un vif intérêt sur le marché de l’art et dans les collections muséales. Mais, si les œuvres survivent à leur auteur, il en est de même pour le droit moral. Reflet juridique de l’expression de la personnalité de l’artiste, matérialisée dans une œuvre de l’esprit, un tel droit est marqué du sceau de la perpétuité. Le Code de la propriété intellectuelle s’en fait l’écho, en son article L. 121-1, en disposant que le droit moral est « perpétuel, inaliénable et imprescriptible ». L’absence d’héritier, si elle vient paralyser l’exercice post mortem du droit moral, peut toutefois être compensée par le mécanisme de l’article L. 121-3 et la mise en œuvre de « mesures appropriées ».

Nouvelle infirmationen appel
C’est sur ce fondement que l’Association Alexandra Exter, créée en 2000, avait sollicité pour la première fois en janvier 2012 le TGI de Paris afin d’être autorisée à poursuivre en justice toute personne susceptible de porter atteinte aux œuvres de l’artiste russe. Mais ces ordonnances sont systématiquement contestées par Igor Toporovsky. Propriétaire de quatre œuvres d’Exter, ce dernier les avait prêtées à l’occasion d’une exposition consacrée à la pionnière de l’art cubo-futuriste russe, organisée par le marchand et expert Jean Chauvelin à Tours de janvier à mars 2009. Or, quatre jours avant la fermeture de l’exposition, Andréï Nakov, président de l’Association Alexandra Exter, déposait plainte avec constitution de partie civile pour les différents chefs de « contrefaçon » et « apposition de fausses signatures sur des œuvres non encore tombées dans le domaine public », « escroquerie » et « recel ». Une instruction était alors ouverte, permettant la saisie d’une grande partie des tableaux et, à l’issue de plusieurs rapports d’expertise, les œuvres appartenant à Igor Toporovsky qui avaient été saisies étaient déclarées authentiques.

Or, les ordonnances sont désormais infirmées en appel. En effet, l’article 812 du Code de procédure civile exige de prouver l’existence d’une urgence pour pouvoir rendre de telles ordonnances. Et cette condition faisait défaut pour voir désignée l’association en qualité de mandataire ad hoc. Selon les deux arrêts de la cour d’appel, du 10 septembre 2015, il ne ressort pas des documents produits par l’Association Alexandra Exter que celle-ci « devait accomplir en urgence un quelconque acte dans le cadre de l’une ou l’autre de ces instances, ni engager en urgence une nouvelle action en justice ». Par ailleurs, la dérogation au principe du contradictoire dans les décisions de premier degré n’était pas justifiée.

Cette bataille judiciaire, qui se déroule depuis quatre ans quant à la détermination du rôle à jouer par l’Association Alexandra Exter, semble trouver son origine dans l’affaire de Tours. L’enjeu pour Igor Toporovsky n’est pas uniquement de contester à l’association tout rôle dans l’authentification, ou à dénier à son président toute compétence en ce domaine, mais aussi de remettre en question la recevabilité de sa constitution de partie civile. En effet, puisque l’association bénéficie d’une ordonnance lui accordant le droit de « poursuivre en justice toute personne susceptible de porter atteinte aux droits de l’artiste Alexandra Exter », le juge d’instruction saisi dans l’affaire de Tours pourrait être amené à réexaminer la question de la recevabilité de la constitution de partie civile de l’association, si Igor Toporovsky était finalement renvoyé devant le tribunal correctionnel.
La prochaine décision du TGI de Paris, qui sera rendue en janvier 2016, est donc particulièrement attendue, à moins qu’un héritier de l’artiste ne ressurgisse…

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°447 du 11 décembre 2015, avec le titre suivant : Un droit moral parfois chaotique

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