L’Association Alexandra Exter pourra continuer à défendre les droits de l’artiste russe décédée sans héritier

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 30 septembre 2014 - 684 mots

PARIS [30.09.14] - Le TGI de Paris a rejeté, le 11 septembre 2014, une demande visant à révoquer une ordonnance du 7 janvier 2014 ayant désigné une nouvelle fois l’Association en qualité de mandataire ad hoc afin de défendre le droit moral de l’artiste.

Si les œuvres survivent à leur auteur, il en est de même pour le droit moral. Reflet juridique de l’expression de la personnalité de l’artiste, matérialisée dans une œuvre de l’esprit, un tel droit est marqué du sceau de la perpétuité. Le code de la propriété intellectuelle s’en fait l’écho, en son article L. 121-1, en disposant que le droit moral est « perpétuel, inaliénable et imprescriptible ».

Toutefois l’exercice post mortem du droit moral s’avère paralysé en l’absence d’héritier, notamment lorsque l’exécuteur testamentaire de l’artiste est lui-même décédé. La peintre d’origine russe Alexandra Exter s’est éteinte en 1949 à Paris, dans le plus grand dénuement et sans laisser d’héritier. Un exécuteur testamentaire avait été désigné en la personne de l’artiste Simon Lissim, ce dernier étant à son tour décédé en 1981. Depuis lors, le droit moral d’Alexandra Exter se trouvait en déshérence, alors même que son œuvre suscite un vif intérêt sur le marché de l’art.

Néanmoins, l’article L. 121-3 du même code prévoit qu’en « cas d'abus notoire dans l'usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l'auteur décédé visés à l'article L. 121-2, le tribunal de grande instance peut ordonner toute mesure appropriée ». C’est sur ce fondement que l’Association Alexandra Exter, créée en 2000, a sollicité en janvier 2012 le tribunal de grande instance de Paris afin d’être autorisée à poursuivre en justice toute personne susceptible de porter atteinte aux œuvres de l’artiste russe. Une ordonnance fut rendue en ce sens, habilitant l’association pour un an, avec une possibilité de prorogation. Le 9 janvier 2013 et le 7 janvier 2014, le TGI de Paris prorogeait la mission de l’Association pour une nouvelle année.

Mais ces ordonnances sont systématiquement contestées par Igor Toporovsky. Propriétaire de quatre œuvres de l’artiste, ce dernier les avait prêtées à l’occasion d’une exposition consacrée à la pionnière de l’art cubo-futuriste russe, organisée par Jean Chauvelin à Tours de janvier à mars 2009. Or, quatre jours avant la clôture de l’exposition, André Nakov et l’Association Alexandra Exter déposaient plainte des chefs de contrefaçon et apposition de fausses signatures sur des œuvres non encore tombées dans le domaine public, escroquerie et recel. Une instruction était alors ouverte, permettant la saisie de la totalité des tableaux et, aux termes de plusieurs rapports d’expertise, une œuvre de Monsieur Toporovsky, Florence (1913), était déclarée inauthentique. Malgré les demandes réitérées de Monsieur Toporovsky, le TGI de Paris refuse de manière constante de rétracter les ordonnances habilitant l’Association.

Telle ne fut pas l’analyse de la cour d’appel de Paris qui, le 25 juin 2013, rétractait la première ordonnance du 10 janvier 2012, au motif qu’il « pouvait exister une difficulté sur l'application du texte sur le fondement duquel [le juge des requêtes] était saisi visant le cas de déshérence ou de vacance » et qu’en raison de différents éléments tenant à la personne de M. Nakov « l'ordonnance désignant l'association dans ces conditions a été obtenue de manière frauduleuse ».

L’arrêt de la cour, frappé d’un pourvoi en cassation, a cependant été pris en considération lors de la dernière demande en rétractation de Monsieur Toporovky, rejetée une nouvelle fois par le TGI de Paris le 11 septembre 2014.

Cette opposition frontale sur la légitimité de tel ou tel acteur à se prononcer sur l’œuvre d’Alexandra Exter se poursuit hors tribunaux, chaque partie étant très active sur Internet afin de tenter de s’imposer comme la seule autorité compétente sur le corpus de l’artiste, dont les œuvres se vendent à prix d’or. Dans l’attente de l’arrêt de la Cour de cassation et de la fin de l’instruction sur l’exposition de Tours, la vente des toiles d’Alexandra Exter est soumise à une forte instabilité. L’Association n’ayant, à ce jour, aucun droit à imposer un examen préalable des œuvres de l’artiste avant leur mise sur le marché.

Légende photo

Alexandra Exter, Costumes pour Roméo et Juliette, 1921 - © Photo M.T. Abraham Center - Licence CC BY-SA 3.0 

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