Musée - Restauration

Au Met, un tableau de David révèle ses secrets

Par Barthélemy Glama, correspondant à New York · Le Journal des Arts

Le 21 septembre 2021 - 641 mots

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

Dans une première version de son célèbre portrait, le peintre avait représenté les époux Lavoisier en financiers mondains plutôt qu’en gens de science.

Analyse de la présence du plomb (en blanc) et du mercure (en rouge) obtenue par fluorescence macroscopique des rayons X dans le Portrait d'Antoine-Laurent Lavoisier et de sa femme (1788) de Jacques-Louis David. © Met
Analyse de la présence du plomb (en blanc) et du mercure (en rouge) obtenue par fluorescence macroscopique des rayons X dans le Portrait d'Antoine-Laurent Lavoisier et de sa femme (1788) de Jacques-Louis David.
© Met

New York. C’est une œuvre majeure de la période néoclassique et une icône des collections de peinture française du Metropolitan Museum of Art (Met, New York) : le portrait du chimiste Antoine Lavoisier (1743-1794) et de son épouse Marie-Anne Paulze (1758-1836) par Jacques Louis David (1748-1825) sort tout juste d’une longue campagne de restauration qui a mis au jour l’existence d’un tableau sous le tableau, annonce le musée. « Cette découverte modifie complètement notre compréhension de ce chef-d’œuvre », commente Max Hollein, son directeur, dans un communiqué.

On retient des Lavoisier leur contribution à l’émergence de la chimie moderne, leur rôle dans l’établissement du système métrique, la découverte de l’oxygène et de l’hydrogène ou encore dans la mise au point de la première table des éléments. C’est cette image de scientifiques des Lumières, entourés de leurs instruments, qu’a fixée David pour la postérité dans ce double portrait achevé à la veille de la Révolution. Une image qui pourrait faire oublier que Lavoisier était aussi fermier général, c’est-à-dire percepteur des impôts pour le compte du roi, un rôle qui lui vaudra de monter sur l’échafaud en mai 1794.

Analyse de la présence du plomb (en blanc) et du mercure (en rouge) obtenue par fluorescence macroscopique des rayons X. © Met
Analyse de la présence du plomb (en blanc) et du mercure (en rouge) obtenue par fluorescence macroscopique des rayons X.
© Met

C’est pourtant cette image de « riches financiers, consommateurs de produits de luxe de dernier cri » que reflète la composition sous-jacente récemment découverte, comme l’explique David Pullins, conservateur associé du département des Peintures du musée. Le revirement pourrait avoir plusieurs explications : « La théorie la plus tentante voudrait établir un parallèle avec la politique du temps et suppose qu’ils ne souhaitaient plus s’afficher comme appartenant à la classe des fermiers généraux, mais je n’irai pas jusqu’à dire que c’est la Révolution qui a fait changer son portrait à David. »

Selon David Pullins, qui signe une longue étude du tableau conjointement avec la restauratrice Dorothy Mahon et l’ingénieure de recherche Silvia A. Centeno, cette première version répondait beaucoup aux conventions établies par les grandes peintres femmes de la période, Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803) et Élisabeth Vigée Le Brun (1755-1842) en tête, pour les portraits d’aristocrates : « David s’est peut-être rendu compte que ce format fonctionnait bien pour Marie-Antoinette, mais n’était pas nécessairement le plus approprié pour un couple qui ne possédait même pas de titre. Il a sans doute voulu créer une image d’un nouveau genre. »

Jacques-Louis David, Portrait d'Antoine-Laurent Lavoisier et de sa femme, 1788, huile sur toile, 259 x 194 cm. © Met
Jacques-Louis David, Portrait d'Antoine-Laurent Lavoisier et de sa femme, 1788, huile sur toile, 259 x 194 cm.
© Met
270 heures d’analyse au scanner

Entré dans les collections du Met en 1977, acquis par un autre couple de grands financiers, Charles et Jayne Wrightsman, le portrait avait été jugé en bon état et n’avait pas fait l’objet de soins particuliers avant de rejoindre les galeries du musée. En 2019, la conservatrice Katharine Baetjer estime qu’il est temps de retirer un vernis synthétique dégradé sur la surface de la peinture. Les premières observations de la restauratrice Dorothy Mahon font rapidement entrevoir qu’une longue campagne d’analyse technique et historique se révèle nécessaire. Les équipes de restauration et de conservation du musée engagent alors un minutieux travail d’enquête à grande échelle, à l’aide de la réflectographie infrarouge non invasive et de la macro-cartographie par rayons X. Après 270 heures au cours desquelles la surface du tableau a été scannée, l’expertise de Silvia A. Centeno a permis d’identifier divers éléments dans les couches picturales et dessine progressivement les contours de la composition sous-jacente. « Jusqu’à récemment, révéler des compositions cachées sous la couche picturale avec un tel niveau de détail était impossible », se réjouit-elle.

Une fois qu’une image plus claire du premier tableau a émergé, David Pullins a commencé à l’étudier « comme s’il s’agissait d’une toute nouvelle peinture, une œuvre perdue mise au jour ». Le chimiste y arbore un élégant manteau brodé, son épouse un grand chapeau orné de rubans et de fleurs artificielles « à la Tarare » très à la mode à l’automne 1787. Les instruments scientifiques sont en revanche absents de la composition.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°573 du 17 septembre 2021, avec le titre suivant : Au Met, un tableau de David révèle ses secrets

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