Patrimoine diplomatique à céder

Un ancien hospice amstellodamois ou un palais florentin : à l’étranger aussi, la France vend ses joyaux

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2010 - 1183 mots

Le délitement de la diplomatie culturelle passe aussi par la vente de quelques-uns des fleurons patrimoniaux que possède la France à l’étranger.

Fruit de la conjonction entre la rationalisation du réseau culturel à l’étranger et la nouvelle politique immobilière de l’État, le ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE), dont le total des actifs immobiliers – en France et à l’étranger – a été estimé à plus de 5 milliards d’euros, a en effet entrepris de rationaliser son parc immobilier. Les services de France Domaine ont donc incité le ministère à regarder du côté de l’étranger pour établir une liste d’immeubles susceptibles d’être convertis en espèces sonnantes et trébuchantes. Sans trop s’appesantir sur la valeur patrimoniale ou symbolique des lieux, avec, comme objectif, un produit de 390 millions d’euros provenant de ces cessions.   Toutes les options ont été mises à l’étude, y compris la cession de quelques résidences d’ambassadeur. Tel est le cas à Dublin, où un imposant hôtel particulier, situé dans le quartier huppé de Ballsbridge, a été mis en vente en 2008, pour la somme record – pour l’Irlande – de 60 millions d’euros. Mais l’acheteur pressenti, le magnat irlandais des télécoms, Denis O’Brien, s’étant rétracté alors que la crise immobilière commençait à poindre, le bien a été retiré de la vente… en attendant des jours meilleurs. Officiellement, on ne brade pas le patrimoine de l’État ! Dans ce contexte, les édifices abritant les instituts culturels ou les services de coopération et d’action culturelle (SCAC) se trouvent logiquement dans la ligne de mire de Bercy, d’autant que la refonte du réseau et la fermeture de plusieurs centres procurent aux services immobiliers du MAEE plusieurs opportunités immobilières. 

Sur la liste des cessions prévues pour 2011-2013, sont ainsi inscrits : l’immeuble du SCAC de New York – qui devrait être relocalisé dans un « quartier plus culturel » selon les termes du Quai d’Orsay – et du SCAC de Téhéran (Iran) ; celui du centre culturel de Tallinn (Estonie), jamais ouvert faute de pouvoir financer les 800 000 euros de travaux ; mais aussi le siège de l’Institut français d’Écosse, à Édimbourg. Menacé de fermeture, son existence serait provisoirement maintenue, mais ses locaux, jugés « surdimensionnés » par les services diplomatiques, sont tout de même proposés à la vente. À Port-Louis, sur l’île Maurice, le coût de la construction d’un nouvel institut français, qui vient d’être inauguré, doit être compensé par la vente de deux bâtiments. Il s’agit de l’ancien centre culturel Charles-Baudelaire, logé dans un ensemble de bâtiments du XXe siècle non dénué de qualité architecturale, sera vendu au prix du terrain (490 000 euros) et détruit pour faire place à une opération de logements. Et surtout de l’ancien consulat, rare témoignage de l’architecture coloniale de la ville dont le projet de cession a suscité sur place une vive émotion, dans un contexte de grande vulnérabilité du patrimoine mauricien. Une transaction a été conclue avec une société d’assurances sur la base de 494 000 euros. Il semble loin le temps où la France s’érigeait en garante du patrimoine au-delà de ses frontières. 

Restaurations coûteuses 
Acheté en 1966 à l’initiative du ministre des Affaires culturelles André Malraux, l’ancien Hospice wallon d’Amsterdam, situé en bordure du canal de Prinsengracht, dans le centre historique, abrite le consulat général et l’institut français. Il devrait constituer à son tour l’un des morceaux de choix des cessions immobilières du Quai d’Orsay. Cet ancien orphelinat, créé au XVIIe siècle pour accueillir les victimes wallonnes des persécutions anti-protestantes de Louis XIV, inauguré dans sa nouvelle affectation diplomatique en 1971 par la reine des Pays-Bas, était considéré comme un symbole des relations franco-néerlandaises. Le projet aurait été revu et seule une aile du bâtiment serait ainsi cédée.  Un autre lieu phare de la présence culturelle française à l’étranger pourrait sortir du giron de l’État français : le palais Lenzi, à Florence, siège de l’institut français et du consulat honoraire de Florence. Acheté par l’État français en 1949 et situé sur la piazza Ognissanti en bordure de l’Arno, ce palais du Quattrocento aurait été construit par Brunelleschi ou Michelozzo. Il est aussi le premier institut français à avoir été ouvert à l’étranger, en 1907. Mais le coût de la restauration de l’édifice fait aujourd’hui frémir le Quai d’Orsay, qui préférerait s’en débarrasser, sans toutefois trop s’en vanter, les services du ministère restant pour l’instant muets à ce sujet.

Un projet similaire avait déjà été lancé, il y a dix ans. L’association des Amis de l’Institut français de Florence avait alors réussi à le contrer, notamment grâce au soutien de la société civile et aux financements de l’Ente Cassa di Risparmio de Florence. La partie arrière du bâtiment avait toutefois été cédée, obligeant au dépôt de la moitié des 70 000 volumes de la bibliothèque à Prato, soit à 20 minutes de train de Florence. Ce nouveau projet serait donc le coup de grâce pour ce prestigieux institut, où enseigna jadis l’historien de l’art Daniel Arasse. Dans son rapport sur le Centre des monuments nationaux publié en juillet 2010, la commission de la culture du Sénat a appelé à la création d’une commission indépendante qui statuerait sur la valeur patrimoniale des biens de l’État, tous ministères confondus, avant toute cession immobilière envisagée par France Domaine. Sa mise en œuvre relève aujourd’hui de l’urgence. 

Farnese ouvre ses portes.

À partir du 17 décembre et jusqu’en avril 2011, le palais Farnese, à Rome, ouvrira ses portes de manière exceptionnelle au public. Le prestigieux édifice abritant l’ambassade de France en Italie mais aussi l’École française de Rome, dont les portes sont toujours closes aux visiteurs, lèvera ainsi une partie de son mystère dans le cadre d’une exposition temporaire dédiée à son histoire, qui permettra surtout au public de découvrir in situ la célèbre galerie décorée par les frères Carrache (1597-1608). Ce fleuron du patrimoine diplomatique, construit par Antonio da Sangallo et Michel-Ange, est toutefois un cas à part puisque l’État français n’en est que locataire. Siège de l’ambassade depuis 1874, le palais a pourtant été acheté par la France en 1911. Mais en 1936, l’Italie l’a racheté, cédant l’usage et l’entretien des lieux à la France contre un bail emphytéotique d’une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. En contrepartie, un accord similaire a été conclu pour la représentation italienne à Paris, hébergée dans l’hôtel de la Rochefoucauld-Doudeauville, rue de Varenne. Jusqu’en 2035, l’entretien de ce prestigieux monument revient donc à l’État français. Pour l’assumer, l’ambassade a récemment développé une politique événementielle afin d’accroître ses ressources propres. La restauration de la galerie des Carrache, prévue en 2011, devrait quant à elle être financée par le biais exclusif du mécénat. L’Italie est le pays où l’État français compte le plus grand nombre de bâtiments patrimoniaux : villa Bonaparte et villa Médicis à Rome, lycée français de Rome, palais Lenzi de Florence, palais des Stelline à Milan. Sans oublier le patrimoine des « Pieux Établissements de la France à Rome et à Lorette », une fondation française enrichie par des dons et legs provenant de Français, qui comprend le couvent et l’église de la Trinité-des-Monts, les églises Saint-Louis-des-Français, Saint-Nicolas-des-Lorrains, Saint-Yves-des-Bretons et Saint-Claude-des-Francs-Comtois-de-Bourgogne.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Patrimoine diplomatique à céder

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