Ambassades culturelles

Nés des ambitions diplomatiques de leur pays d’origine, les instituts étrangers basés à Paris se revendiquent comme de véritables lieux de culture

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2010 - 2363 mots

C'est à Paris que se concentrent le plus grand nombre d’instituts culturels étrangers. Installés dans des hôtels particuliers anciens ou des édifices modernes, quarante-six établissements, aux missions et moyens fort divers, offrent au public une vitrine de la richesse culturelle de leur pays et tissent un réseau d’influences dans le paysage diplomatique.

À l’heure où le système français est en pleine remise en question (lire p. 19), comment fonctionnent ces modèles étrangers d’exportation de la culture ? Les plus anciens s’inscrivent dans la lignée d’une histoire lointaine, à l’image du Centre culturel irlandais, dont les origines remontent à la création, dans le Paris du XVIe siècle, du Collège des Irlandais (dans l’actuel 5e arrondissement de la capitale). Quelques-uns ont ouvert leurs portes tout récemment, comme le Centre culturel de la Chine, créé en 2002 à l’occasion des Années croisées France-Chine, une première dans un pays occidental. Certains pays ne possèdent qu’un seul centre au monde – c’est le cas de la Suède. À l’inverse, des institutions comme le British Council de Grande-Bretagne ou le Goethe-Institut d’Allemagne sont présents dans de très nombreux pays, de l’Afghanistan au Vietnam en passant par la Bolivie, la Roumanie, le Togo ou les États-Unis d’Amérique pour ce dernier. En France, le Goethe-Institut dispense ses cours de langues à Paris, mais aussi à Bordeaux, Lille, Lyon, Nancy, Strasbourg et Toulouse.

Structures plus ou moins autonomes, les instituts culturels étrangers installés à Paris dépendent le plus souvent du ministère des Affaires étrangères, qu’ils en émanent directement, prennent la forme d’une association loi 1901 ou d’une fondation d’utilité publique. Il n’est pas rare que le directeur d’un institut assume également la charge de conseiller culturel au sein de l’ambassade de son pays. 
Si la majorité des subventions des instituts proviennent de leur nation d’origine, ils sont nombreux à devoir aussi trouver des ressources propres. Entité indépendante (au statut proche de l’établissement public en France) gérée par la Fondation du Japon (organisme de droit public japonais), la Maison de la Culture du Japon est financée essentiellement par l’État, mais le secteur privé soutient aussi le lieu. Dès 1997, une « Amicale » regroupant quatre-vingt-trois entreprises japonaises a été créée. Elle donne chaque année l’équivalent de 350 000 euros pour financer les manifestations (soit un tiers des fonds utilisés pour la programmation culturelle), sur un budget global de 4 millions d’euros. Certains centres possèdent un statut atypique.

Ainsi le Centre culturel coréen dépend-il non du ministère des Affaires étrangères mais du ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme, qui lui octroie l’intégralité de ses subventions. Une dizaine de personnes y travaillent et, contrairement aux pratiques jusque-là en vigueur, la République de Corée a nommé pour la première fois non un fonctionnaire mais un homme de théâtre à sa tête. Arrivé en 2007, le metteur en scène Choe Junho, formé à Paris-III, connaît bien les scènes artistiques française et coréenne. Ne disposant pas de salle de spectacle au centre, il multiplie les partenariats pour programmer des représentations au Festival d’Avignon, au Festival Made in Asia à Toulouse, au Festival Couleurs du Monde à Castres… Le Centre culturel suisse (CCS) a, pour sa part, choisi en 2008 de confier les rênes de la maison à deux historiens de l’art, Jean-Paul Felley et Olivier Kaeser. Ceux-ci reprennent le flambeau de leur prédécesseur Michel Ritter qui a largement ouvert le CCS à la création contemporaine (lire l’encadré). 

Indépendance 
Autre exemple original, la Maison de l’Amérique latine, créée en 1946 à l’initiative du général de Gaulle et fondée conjointement avec Paul Rivet, s’autofinance presque en totalité. Installée dans deux hôtels particuliers du XVIIIe siècle, situés boulevard Saint-Germain (Paris-6e), la maison vit de ses ressources commerciales, qui se résument à de la location d’espaces pour des activités événementielles. Sur un budget global de 3 millions d’euros, les fonds dévolus à la programmation culturelle s’élèvent à 300 000 euros. « Notre autonomie financière nous garantit une réelle indépendance pour monter nos projets culturels. Nous ne sommes pas obligés d’exposer les artistes officiels quand le président d’un des pays d’Amérique latine vient à Paris », explique sa directrice culturelle, Anne Husson, même si, ajoute-t-elle, « il y a toujours quelques pressions ». Sauvé de la faillite en 1982 par les plus hauts sommets de l’État qui sollicitent alors l’aide de différents ministères, l’organisme est toujours sous la tutelle morale du Quai d’Orsay. Ce dernier, de même que CultureFrance, l’a largement mis à contribution pour organiser réceptions et événements en cette année qui célèbre les bicentenaires d’indépendance de plusieurs pays d’Amérique latine. 

Même s’ils sont considérés par leur hiérarchie comme de formidables outils diplomatiques, seule une réelle indépendance garantit aux centres une programmation culturelle de qualité. D’après Olivier Kaeser, le fait que le CCS ne dépende pas du ministère des Affaires étrangères mais relève du Parlement, est une chance qui lui garantit une liberté d’action totale. Joachim Umlauf, à la tête du Goethe-Institut basé à Paris et également administrateur du Ficep (Forum des instituts culturels étrangers à Paris, un organisme créé en 2002 pour fédérer les actions des différents instituts), enfonce le clou : « En ce qui nous concerne, il était très important qu’on ne soit pas trop proche de l’État. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’État allemand était totalement discrédité. Parce qu’il était indépendant, le Goethe-Institut pouvait aborder les traumatismes de la guerre et mener une vraie réflexion sur le passé, témoigne-t-il. De nombreux pays sont attachés à cette autonomie et font en sorte qu’il n’y ait pas trop de proximité avec l’ambassade même si nous travaillons en bonne intelligence. Cela rejoint la question de l’expertise en matière culturelle : le centre doit développer des projets dans la durée, à l’inverse du temps de l’ambassade et des diplomates qui changent tous les deux à trois ans. »

« Revoir nos activités à la baisse »

 À l’instar de n’importe quelle institution culturelle, les instituts n’échappent pas aux réalités du temps présent. Quel que soit leur modèle économique, ils ont tous été touchés par la crise et s’apprêtent à vivre une période de vaches maigres. Les restrictions budgétaires imposées par la plupart des pays ne les épargneront pas et, dans le meilleur des cas, les budgets ne feront que se maintenir.

Vice-président de la Maison de la Culture du Japon, Atsushi Oshima réagit de manière pragmatique : « Nous sommes une émanation de l’État japonais et celui-ci influence évidemment notre structure. D’ici peu nous allons inévitablement subir une baisse de nos crédits. Il va nous falloir trouver des financements complémentaires, revoir nos activités à la baisse. Depuis 2008, nous rencontrons aussi quelques difficultés avec le mécénat, situation délicate relativement à notre système de fonctionnement. Attirer des entreprises est devenu un véritable challenge. »  Malgré des coupes budgétaires drastiques depuis 2008, le Centre culturel canadien fête cette année ses 40 ans en affichant un franc optimisme. « Le Canada passe par une crise économique et limite les dépenses en général. Nous devons être vigilants. Le financement du centre est stable, mais les budgets sont à la baisse (le centre dispose d’une subvention annuelle globale avoisinant 3 millions d’euros). Nous espérons que cela remontera. En tous les cas, nous ne sommes pas en danger, simplement dans le même bateau que l’ensemble du gouvernement fédéral », assure sa directrice, Louise Blais, également conseillère culturelle de l’ambassade et administratrice du Ficep.  Interrogée sur le sujet, Jeanne Wikler, directrice de l’Institut néerlandais, reconnaît que, de manière générale, les dépenses augmentent tandis que les budgets ne suivent pas. La politique d’austérité menée aux Pays-Bas touche, sans surprise, le domaine de la culture. « Cela aura peut-être des conséquences, mais pour l’instant nous sommes épargnés », précise Jeanne Wikler, dont l’institut dispose d’un budget d’environ 2 millions d’euros annuels et emploie une vingtaine de personnes en CDI et une dizaine, en CDD. Quelle est  aujourd’hui la situation de l’Institut Suédois, menacé de fermeture l’année dernière par Stockholm ? Grâce à la forte mobilisation des acteurs culturels, du public et de la presse, l’Institut suédois a finalement pu être sauvé à l’automne et le gouvernement est revenu sur sa décision de le condamner. « Cette aventure nous a renforcés, nous avons pu constater que nombreux étaient ceux qui adhéraient à notre projet », explique-t-on à l’Institut, où le budget annuel atteint un million d’euros. Sans en dire davantage, le Centre culturel coréen évoque des « budgets relativement stables [qui] « varient chaque année en fonction des projets ». 

Développer des partenariats 
Au Goethe-Institut de Paris, le budget atteint 4 millions d’euros annuels, sur un budget total mondial de 278 millions d’euros. Un tiers de ces ressources proviennent des cours de langue qui sont dispensés – les deux tiers restants émanent du ministère des Affaires étrangères allemand. Selon Joachim Umlauf, la recherche de nouvelles ressources ne doit pas nuire aux missions premières du centre : « Un financement de base doit être assuré. On ne peut pas passer sa journée à chercher de l’argent : nous ne sommes pas des commerciaux. Il est important que nous puissions nous concentrer sur les activités culturelles . » Les enjeux de ces centres, qui se définissent avant tout comme des lieux de culture, se trouvent ailleurs. Joachim Umlauf oriente ses réflexions vers des questions liées à l’écologie, les migrations, l’intégration, avec, notamment, le développement d’un projet autour de la Méditerranée, zone directement accessible pour l’Allemagne depuis la France.  Nombre d’instituts ont pour ambition de développer leurs partenariats, à Paris mais aussi dans le reste de la France. Le Centre culturel canadien compte ainsi intensifier ses relations avec le Musée des Confluences, à Lyon, qui possède une collection importante de pièces autochtones canadiennes.

La Maison de la Culture du Japon mise elle aussi sur la multiplication des partenariats, en particulier avec son voisin le Musée du Quai Branly ou encore le Musée Guimet, tout en développant l’enseignement du japonais. Les centres de grande taille, comme le British Council, vont continuer à privilégier l’enseignement de leur langue. Pour de plus petits centres, tel le Centre tchèque, les enjeux sont d’un autre ordre, et se situent à l’échelle de l’Europe. Selon son directeur, Martin J. Bonhard, « la politique culturelle est le meilleur moyen de toucher le public à l’étranger. Nous voulons lutter contre des préjugés encore tenaces, montrer qu’on est un pays d’Europe centrale, qui n’est pas lointain ».

 À l’heure où il est fondamental de rendre visible l’étendue de son action, la plupart des centres cherchent à attirer un plus large public. À titre indicatif, le Centre culturel canadien et le Goethe-Institut accueillent chacun 20 000 visiteurs par an, contre 30 000 à 50 000 pour l’Institut néerlandais (selon les années) ou 55 000 visiteurs pour la Maison de la Culture du Japon en 2009. La palme revient à l’Institut suédois, qui reçoit dans ses espaces de l’hôtel de Marle, en plein cœur du Marais, quelque 100 000 visiteurs par an, un public majoritairement français. Il s’en est fallu pourtant de peu qu’il ne ferme ses portes, preuve de la fragilité de ces lieux particuliers de la culture, nés des ambitions diplomatiques d’un pays. 

Un Institut pour une collection.

Chaque année, les instituts culturels doivent bâtir une nouvelle programmation susceptible de séduire le public, en écho à l’actualité artistique et intellectuelle. À cet égard, l’Institut néerlandais jouit d’une situation particulière puisque son histoire est intimement liée à la collection Frits Lugt. La Fondation Custodia a été créée en 1947 par le célèbre collectionneur néerlandais Frits Lugt (1884-1970) pour gérer les quelque 90 000 œuvres qu’il avait réunies, peintures, dessins, gravures, lettres et livres anciens du XVe au XXe siècle. En 1957, le gouvernement néerlandais fonde l’institut afin de diffuser cette collection à travers des expositions organisées en partenariat avec la Fondation Custodia – la collection se visite aussi sur rendez-vous. Cet été, l’institut a présenté une sélection des plus belles gravures du fonds Frits Lugt, 85 pièces (sur les 30 000 pièces du fonds des gravures) comprenant des œuvres signées Rembrandt et Lucas de Leyde. L’institution installée rue de Lille (Paris-7e) conçoit également des événements autour de l’art contemporain et du design. Actuellement, dans le cadre du Mois de la photo, il présente une exposition d’Ellen Kooi (jusqu’au 22 décembre).

Le CCS, maison des arts contemporains.

Si la plupart des centres ou instituts culturels se définissent comme des outils de diffusion et non d’aide à la création, le Centre culturel suisse (CCS) a franchi une étape supplémentaire en faisant de ses expositions d’art contemporain des événements singuliers. L’institut dépend de la fondation suisse pour la culture Pro Helvetia, un organisme de droit public financée par la Confédération. Le CCS a pris un nouveau tournant en 2002 avec l’arrivée à sa direction de Michel Ritter, artiste de formation et fondateur du Fri-Art, centre d’art contemporain de Fribourg (Suisse), dont la programmation très axée sur l’art contemporain avait fait grincer des dents en interne. En 2004, son exposition de Thomas Hirschhorn portant sur la démocratie suisse crée la polémique et la droite dure s’en empare pour tenter de faire fermer le centre. L’affaire ne fera que confirmer le CCS comme lieu incontournable de la scène artistique parisienne.
Après le décès de Michel Ritter, en 2007, Jean-Paul Felley et Olivier Kaeser reprennent le flambeau avec une programmation exigeante. Au printemps dernier, le CCS a invité le commissaire d’exposition Jean-Christophe Ammann à l’occasion des 25 ans de l’institution, clin d’œil à l’inauguration du CCS pour laquelle il avait déjà conçu une exposition de Fischli & Weiss (il était alors directeur de la Kunsthalle de Bâle). « L’art contemporain est notre cheval de bataille, mais nous tenons à ce que le centre reste un lieu pluridisciplinaire, en laissant sa place à la danse, la performance, la musique », précise Olivier Kaeser. Jusqu’au 12 décembre, le CCS accueille Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger, qui, à travers leur nouveau projet éphémère imaginé in situ, s’interrogent sur les notions de fertilité, de surpopulation et d’insémination artificielle. Suivra, début 2011, une grande exposition autour de la musique réunissant une trentaine d’artistes suisses et internationaux. « La création contemporaine n’a pas de frontières géographiques, conclut Olivier Kaeser. Nous nous définissons avant tout comme une «maison des arts contemporains» sous toutes leurs formes. »

Le CCS, maison des arts contemporains.

Pour plus d’informations et la liste complète des différents centres, consulter la base du Ficep, le Forum des instituts culturels étrangers à Paris, sur www.ficep.info.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Ambassades culturelles

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