Mont-Saint-Michel - Et la mer reviendra au galop

Les ingénieurs du XXIe vont défaire ce qui a été fait au XIXe siècle

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1995 - 733 mots

L’ambitieux projet de réaménagement concerne les abords du site classé du Mont-Saint-Michel envahis par le sable. L’opération, dont une grande partie sera à la charge de l’État, est évaluée à 550 millions de francs sur sept ans. C’est la première fois en France que l’on se préoccupe de protéger la mer à une échelle aussi considérable, et que l’on essaie de revenir à des conditions naturelles antérieures.

PARIS - Une étendue morne de sable emprisonne la pyramide du Mont, piégée par les aménagements faits au XIXe siècle pour créer des polders. Un plan de "rétablissement du caractère maritime du Mont-Saint-Michel" a été approuvé par le Premier ministre le 22 mars.

Le coût total de l’opération est évalué à 550 millions de francs sur sept ans. L’État – ministères de l’Envi­ronnement, de l’Équipement et de la Culture – financera l’opération pour 300 millions, 200 millions seront apportés par les régions et les départements – Bre­tagne, Basse-Normandie, Manche et Ille-et-Vilaine –, et 50 millions proviendront d’un emprunt que rem­boursera le péage des véhicules dans les parcs de stationnement. Les études préliminaires, les enquêtes publiques et les appels d’offre seront achevés fin 1998.

La part des travaux hydrauliques
Le jeu d’eau qui transite dans ce secteur va pouvoir s’organiser et ne sera plus arrêté par la digue-route datant de 1880, reliant le Mont à la terre, qui constitue l’obstacle principal aux courants de marée et bloque le transit des sédiments. Elle sera en partie supprimée.

Démolir la première partie de la digue n’apporterait rien à l’équilibre hydraulique, la marée buterait alors sur les polders qui la bordent. Il y a aussi de la part des concepteurs un souci d’économie. L’État n’a pas la prétention de travailler pour les siècles à venir, mais pour les cinquante prochaines années.

Un investissement considérable
La coupure de la digue-route et la construction du pont sont estimées à 230 millions, le réaméanagement du Couesnon et des rivières côtières à 44 millions. Ce pont, long d’un kilomètre et haut de quinze mètres, remplacera la digue vers 2001. Les visiteurs l’emprunteront à pied, ou en navettes sur rail treuillées par câble. Des aires de stationnement sont prévues à terre pour l’accueil des autocars et des voitures. Les Montois disposeront, sur le site même, d’un parc créé sous le pont.

Ces travaux seront l’occasion d’un certain nombre d’aménagements qui permettront de remettre ce site classé en valeur. Des opérations de restauration, de réhabilitation ou de création seront engagées. Les crédits proviendront de programmes européens.

Les ingénieurs du XXIe siècle vont défaire ce qui a été fait au XIXe. Les aménagements faits alors, avec la collaboration d’ingénieurs hollandais, avaient pour but de gagner des terres sur la mer.

La digue submersible de Roche Torin a été construite en 1859-1885, le cours naturel des rivières a été détourné : le Ruisseau Landais en 1881, la Guintre en 1884, et le Couesnon canalisé en 1863. Pour faciliter l’accès des visiteurs, la digue-route a été construite en 1880.

Ultime étape de ce programme engagé il y a un siècle, le barrage de la Caserne, construit en 1969, bloque la remontée de la marée dans le lit terrestre du Couesnon. Cet ouvrage a été la dernière réalisation entreprise pour favoriser la formation de polders, qui sont aujourd’hui l’une des causes de l’ensablement de la baie.

Dispose-t-on des moyens technologiques pour agir ?
Le propos des concepteurs n’est pas de modifier, mais d’agir sur la sédimentation aux abords immédiats du Mont-Saint-Michel, sans remettre en cause l’en­semble du système sédimentaire. C’est un milieu infiniment plan, la pente y est à peu près d’un mètre par kilomètre. Les rivières dans la baie divaguent, le vent et la marée les guident. L’équilibre hydraulique de la baie est lié au climat, aux successions des tempêtes.

L’amplitude de la marée peut atteindre quinze mètres. Des bancs de sable et de tangue mouvants découvrent à quinze kilomètres. La mer revient alors "à la vitesse d’un cheval au galop". Quatre à cinq milliards de mètres cubes d’eau y passent deux fois par jour. Le dépôt sédimentaire est d’un million de mètres cubes par an.

Il existe aussi un facteur "hasard", qui fait qu’il y a dans ce projet un véritable pari pascalien de la part de l’État, car même si l’on comprend à peu près les mécanismes de la sédimentation, on sait qu’il y a une part d’aléas, et la prédiction doit être abordée avec beaucoup de modestie.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Mont-Saint-Michel - Et la mer reviendra au galop

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