L'actualité vue par Jean-François Hebert, président du château de Fontainebleau

« Je ne sacrifierai pas aux effets de mode »

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2009 - 1684 mots

Jean-François Hebert, président du château de Fontainebleau, est chargé de la préfiguration du Musée de l’histoire de France

Secrétaire général pour l’administration du ministère de la Défense de 1997 à 2002, président de la Cité des sciences et de l’industrie jusqu’en mai 2007, date à laquelle il rejoint le ministère de la Culture en tant que directeur de cabinet de Christine Albanel, Jean-François Hebert a été nommé, fin septembre, président du château de Fontainebleau. Il a simultanément été désigné pour mener la mission de préfiguration du futur Musée de l’Histoire de France, projet présidentiel dont le site d’implantation n’a pas encore été choisi et pour lequel plusieurs établissements, parmi lesquels Fontainebleau, sont en lice. Jean-François Hebert revient sur ses deux grandes missions et révèle les grandes lignes de l’action qu’il compte initier au château.

Vous venez de prendre la tête du château de Fontainebleau. Quels sont les grands axes de la politique que vous souhaitez y mener ?
Mon objectif est simple : faire que ce château soit mieux connu. Ce qui m’a frappé en arrivant ici, c’est l’énorme décalage entre le pouvoir d’attractivité de l’endroit et la méconnaissance qu’en ont les Français – sa fréquentation est à 60 % étrangère. Le château de Fontainebleau est un lieu magique. Il offre une magnifique leçon d’histoire de l’art, d’histoire de l’architecture et d’histoire de notre pays en général. Il s’agit du château le plus meublé de France, voire d’Europe, avec un ensemble comprenant pas moins de 16 000 œuvres ! Cette authenticité, cette richesse sont insoupçonnées et il faut y remédier. Je compte donc, en priorité, miser sur le lieu lui-même. Bien sûr, des événements temporaires sont d’ores et déjà prévus, à commencer par une exposition en collaboration avec le château de Compiègne, au printemps prochain, autour de l’album que Baltard a réalisé en l’honneur du mariage de Napoléon Ier et Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine. À l’automne, nous célébrerons Henri IV à Fontainebleau à l’occasion de l’anniversaire des 400 ans de sa mort. Mais c’est sur le château et ses collections permanentes que nous allons nous appuyer pour faire venir et revenir le public. Je pense aux Franciliens et spécialement aux groupes scolaires qui ne représentent pour l’heure que 8 % des visiteurs. La forêt accueille pas moins de 11 millions de personnes par an, le château 350 000 à 400 000. Nous pouvons aller plus loin. Je ne suis pas un obsédé de la fréquentation, mais je suis pleinement convaincu qu’un monument qui présente un tel intérêt historique et culturel doit être davantage visité, et nous sommes loin du seuil de saturation.

Il vous faudra alors augmenter les effectifs du musée, particulièrement ceux de la conservation qui ne compte qu’une demi-douzaine de cadres…
Je dois dire que je suis étonné que le château de Fontainebleau ait une fréquentation si importante avec si peu de moyens. Une grosse centaine de personnes y travaille, contre plus d’un millier pour des établissements comme la Cité des sciences ou le Louvre. Mon objectif est de doter progressivement le château de moyens plus adéquats. Avec notre nouvel architecte en chef des Monuments historiques, nous élaborons un schéma directeur qui sera présenté au ministère pour programmer les travaux indispensables. La Rue de Valois vient d’obtenir 100 millions d’euros supplémentaires pour les monuments historiques et je suis persuadé qu’en présentant un projet cohérent, nous obtiendrons les moyens qui manquent. Par ailleurs, il y a le mécénat. Mon prédécesseur a pu nouer des partenariats qui vont nous permettre de mener à bien des chantiers de restauration. Nous avons ainsi reçu cinq millions d’euros d’Abou Dhabi pour restaurer le théâtre impérial qui est une pure merveille. Nous travaillons aussi sur le cabinet de travail de Napoléon III, restauré grâce au Crédit Agricole, et sur le décor du boudoir turc de Marie-Antoinette et des impératrices dont le chantier va bientôt s’ouvrir grâce à l’Insead. Je cherche d’ailleurs un autre généreux donateur pour financer la remise en état du splendide mobilier Empire de ce boudoir ! Ces opérations de mécénat pourraient nous permettre, comme le Louvre le fait depuis plusieurs années, d’ouvrir des postes dédiés à leur suivi. Car, pour les emplois, la situation est plus difficile – de nombreuses salles sont encore trop rarement ouvertes. Mais, là encore, je suis certain que nous arriverons à convaincre du bien-fondé de nos besoins pour mieux accueillir le public.

Depuis le mois de juillet, le château de Fontainebleau est devenu un établissement public (EP), ce qui implique de développer ses ressources propres. N’est-ce pas une situation périlleuse pour un établissement de son envergure ?
Lorsque j’étais Rue de Valois, Christine Albanel a décidé de doter Fontainebleau du statut d’EP dans le cadre de la première phase de la révision générale des politiques publiques. C’était lui donner les moyens d’accéder à la cour des grands, aux côtés du Louvre, de Versailles ou d’Orsay. Nous avons pris cette décision après avoir mesuré l’importance de la fréquentation du château et constaté qu’il dispose d’un fort potentiel de développement. À partir du moment où un établissement est capable de se prendre en charge pour attirer le public et obtenir des ressources propres, il est mûr pour s’assumer complètement. Au quotidien, cela simplifie mes contacts avec les mécènes, les entreprises et tout le réseau des acteurs locaux, au premier rang desquels les élus. Il est essentiel de nouer des rapports de confiance avec son environnement, politique, économique et social. Le statut d’EP donne une liberté d’action qui facilite les choses et les rend plus visibles.

Allez-vous poursuivre la programmation contemporaine initiée par votre prédécesseur ?
L’art contemporain a toute sa place dans les monuments historiques, mais il faut l’introduire avec toute la délicatesse qu’exigent les lieux dont nous avons la garde, à l’image de ce qui a déjà été fait ici avec l’opération « Château de Tokyo » en 2008. C’est pour cela que je ne suis guère favorable aux cartes blanches données à des artistes pour simplement « occuper » l’espace. Il est indispensable qu’un dialogue s’instaure entre les lieux que nous tenons des générations passées et la création contemporaine. Il faut chercher, trouver des correspondances, des résonances. Je ne veux pas de choses plaquées, artificielles ou simplement dans le vent. Je ne sacrifierai pas aux effets de mode. Ce qui m’intéresse, c’est le château.

Simultanément à votre arrivée à Fontainebleau, vous avez été nommé à la tête de la mission de préfiguration du Musée de l’Histoire de France, projet présidentiel pour lequel le château de Fontainebleau est candidat… Comment concilier vos deux missions sans être juge et partie ?
Je partage mon temps entre Fontainebleau et Paris. Les activités sont séparées mais se fertilisent l’une l’autre. S’il n’est pas retenu comme le lieu d’installation du musée, le château de Fontainebleau sera de toute façon une pièce maîtresse du projet et un élément dynamique du réseau qui se constituera. La décision ne m’appartient pas. Christine Albanel avait proposé un choix entre les Invalides et Fontainebleau. Le nouveau ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, que le sujet passionne, souhaite prendre son temps et il a même élargi sa réflexion à la possibilité de faire construire un nouveau bâtiment. Fontainebleau, Vincennes et les Invalides sont donc toujours dans la course, mais aussi Versailles, le Grand Palais, Chaillot, l’hôtel de la Marine… Vincennes possède de forts atouts : c’est un lieu emblématique de l’histoire de France et l’accessibilité du site joue incontestablement en sa faveur. Mais il implique une nouvelle construction, sauf si l’on déménage les archives du ministère de la Défense. À l’inverse, Fontainebleau dispose de plus de 5 000 m2 disponibles avec le quartier Henri IV, mais à trois-quarts d’heure au moins de Paris… Nous sommes à la recherche du meilleur site possible pour le musée. La décision sera prise par le président de la République sur proposition du ministère de la Culture d’ici à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine.

Le projet n’a pas fait l’unanimité chez les historiens. Certains lui ont reproché de vouloir enfermer l’histoire dans des considérations trop nationales, voire récupérer le musée à des fins politiques…
Les historiens reconnaissent que, s’il est réussi, ce projet sera une chance pour leur discipline et répondra à de vrais besoins dans le domaine de la recherche historique. On ne peut pas se plaindre de la place insuffisante faite à l’histoire et critiquer a priori un projet qui la met au cœur de la société. Réfléchir à la manière dont cette institution pourrait réinstaller un rapport au temps, marquer les esprits et présenter les différentes époques de notre histoire à travers des objets représentent un défi que tous les historiens devraient vouloir relever. Le futur comité scientifique, chargé de l’avant-projet du parcours chronologique, sera composé d’historiens : ce sont eux qui vont construire le musée. Avec toute l’expérience acquise depuis les années Lang dans le domaine des beaux-arts, il ne fait pas de doute que nous réussirons à « muséographier » l’histoire.

Quel est le rôle destiné à cette future institution sur la scène muséale française ?
Il existe en France un millier de musées qui se consacrent entièrement ou en partie à l’histoire, dont deux cents pour les deux guerres mondiales du XXe siècle. Un des objectifs de ce projet est de leur donner une tête de réseau, à l’instar d’institutions motrices comme le Louvre, Orsay et Pompidou dans leurs domaines. Aujourd’hui, aucun musée n’offre réellement la possibilité d’aborder de grands thèmes historiques comme par exemple les guerres de religions. Nous avons besoin d’un lieu qui permette de faire vivre l’histoire au niveau national. Les expositions temporaires pourront circuler… Ce qui rend le projet aussi passionnant, c’est qu’il a trois dimensions : il nous faut concevoir un établissement qui soit à la fois un musée, une tête de réseau et un centre de valorisation de la recherche historique. C’est pour cela que Frédéric Mitterrand parle de « maison de l’Histoire ».

Quelle exposition a récemment retenu votre attention ?
J’ai vu l’exposition que le Centre Pompidou consacre à Soulages, artiste merveilleux. Installer certaines de ses œuvres dans une salle dotée d’un fond noir m’a paru une excellente manière de révéler la lumière qui en émane.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°313 du 13 novembre 2009, avec le titre suivant : L'actualité vue par Jean-François Hebert, président du château de Fontainebleau

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