Et sous le territoire français ?

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 12 mars 2008 - 1189 mots

Malgré l’engouement du public et des scientifiques, l’archéologie préventive, qui représente 90 % des fouilles en France, se heurte encore à l’absence d’une vision globale de la discipline.

Chargé de réaliser des fouilles de sauvetage lors de grands travaux d’aménagement sur le territoire français, l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), créé en 2001, aura dû batailler sans relâche pour sa survie. Suscitant la grogne de certains élus, notamment à cause du système de calcul de la redevance destinée à financer les opérations, l’institut a traversé une grave crise en 2003 qui a bien failli lui coûter cher (lire les JdA n°172, 30 mai 2003, et n°223, 21 octobre 2005). Une nouvelle loi est venue modifier les dispositifs de 2001, introduisant, outre un calcul plus rationnel de la redevance, la possibilité de faire réaliser les diagnostics par les collectivités territoriales et d’ouvrir des chantiers au privé. Cette dernière mesure a permis d’enterrer définitivement l’idée que l’archéologie préventive avait un coût faramineux.

La loi a encore été revue en 2004 pour corriger à nouveau la redevance, même si des imperfections demeurent. Pour Jean-Paul Demoule, qui vient tout juste de quitter la présidence de l’Inrap, il faudrait l’augmenter, ce qui permettrait d’engranger 90 millions d’euros annuels, contre 60 millions actuellement. « Dans n’importe quel autre domaine, cela aurait été fait, déplore Jean-Paul Demoule. Il s’agit de petits ajustements techniques à réaliser au moment de la loi de finances rectificative, en fin d’année ». Mais, Rue de Valois, on se refuse à « ouvrir des vieilles blessures » à l’heure où la situation est à l’équilibre, l’archéologie préventive, qui représente 90 % des fouilles en France, étant, enfin, acceptée par les aménageurs et élus au même titre que le développement durable.

Un portail scientifique
Le budget 2008 de l’Inrap s’élève à 137 millions d’euros. L’établissement s’autofinance à 61 % (grâce à la facturation des fouilles aux aménageurs) et à 29 % grâce à la redevance d’archéologie préventive sur les permis de construire et les chantiers de travaux publics. Les subventions représentent 10 % du budget et sont consacrées à la recherche et aux diagnostics – à titre de comparaison, la subvention versée au Musée du Louvre par l’État représente plus de 120 millions d’euros, soit 62 % de son budget de fonctionnement. Outre la multiplication des fouilles sur tout le territoire, l’institut nourrit différents projets à courts et moyens termes, notamment la création d’un portail scientifique pour l’automne 2008 sur son site www.inrap.fr (début 2009, plus de 500 rapports de fouilles devraient y être accessibles), le développement de partenariats avec les universités, la multiplication des publications et une ouverture à l’étranger (lire p. 20).

Il reste encore des efforts à faire pour résoudre les problèmes persistants des délais qui obligent certains aménageurs à patienter 1 an voire 18 mois avant que l’Inrap ne se manifeste. Pour remédier à de telles situations, une augmentation des personnels serait nécessaire : pour tout le territoire français, l’Inrap emploie quelque 1 900 agents (équivalent temps plein), un nombre similaire à la seule Bibliothèque nationale de France. Mais, depuis les débuts de la discipline en France, il y a 20 ans, Bercy traîne des pieds, craignant de se retrouver avec moins de travaux d’aménagement et des agents au chômage technique. Pourtant,  l’Inrap intervient en France seulement sur 25 à 30 % des sites détruits, sans compter sur les perspectives à l’étranger. « L’archéologie préventive est aujourd’hui encore subie par les aménageurs et l’État. Pourtant, le ministère de la Culture pourrait en faire une source de satisfaction, voire même d’autosatisfaction, face au travail accompli », souligne Jean-Paul Demoule.

Rares sont, en effet, les communications autour des travaux de l’Inrap. Pour la découverte du trésor monétaire gallo-romain de Laniscat (Côtes d’Armor), le ministère s’était contenté d’une timide conférence de presse à Saint-Brieuc (Côtes d’Armor), là où il aurait pu lui consacrer une présentation nationale. « Il y a un réel décalage entre l’intérêt du public, l’engouement des scientifiques, l’acceptation des aménageurs, le rayonnement de l’Inrap à l’étranger, et les tracasseries administratives, cette culture de bureau qui ignore les réalités du terrain », déplore Jean-Paul Demoule, précisant qu’« il s’agit d’une culture rampante qui se transmet de bouche à oreille et qui voudrait faire croire que l’Inrap est un gouffre financier, peuplé de fonctionnaires fainéants. Cette culture bureaucratique fait que l’Inrap demeure un enfant illégitime, dont on ne cesse de se méfier ».

En témoigne le nombre des rapports qui se sont succédé depuis la création de l’Inrap : un premier en 2003 par les inspections générales des Finances, des Affaires culturelles et de l’éducation nationale, suivi du fameux rapport Gaillard, qui parlait d’« erreur stratégique » quant à la création de l’Inrap, puis d’un nouveau texte des inspections générales des Finances, des Affaires culturelles et du Conseil général des Ponts et Chaussées en 2005, d’un audit et d’un rapport du ministère de la Culture en 2006, et, enfin, d’une audition, en 2007, devant la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale, sous la présidence de Pierre Méhaignerie (lire le JdA n°266, 5 octobre 2007).

Comme l’ensemble des structures sous tutelle du ministère de la Culture, l’ombre de la RGPP (Révision générale des politiques publiques), que la Rue de Valois s’apprête à expérimenter, plane aussi sur le fragile Inrap. L’institut aura du mal à échapper à de nouveaux interrogatoires sur son utilité, ses missions, ses dépenses. Encore faudrait-il doter l’institut d’un nouveau président, poste toujours vacant depuis le départ (prévu de longue date) de Jean-Paul Demoule en février. Si le ministère de la Recherche (dont dépend aussi l’Inrap) a fait connaître ses choix, la Rue de Valois ne semble pas pressée. Enfin, l’ambiance est tendue au sein de la DAPA (Direction de l’architecture et du patrimoine) entre l’Inrap et la sous-direction de l’archéologie.

Fouilles non prescrites
Dans une logique purement comptable, il est aussi à craindre que certains préfets ne prescrivent plus les fouilles, une solution pratique et non voyante pour faire des économies. La méthode a déjà été appliquée à Saran (Centre) où le préfet n’a pas alerté l’Inrap sur l’installation du site de ventes en ligne Amazon.com, devenant ainsi responsable de la destruction d’un site archéologique. Même quand une plainte est déposée, le montant de l’amende est nettement inférieur au coût de la fouille. Récemment à Amiens, le ministère de la Culture a déposé plainte contre un aménageur indélicat. Ce dernier s’en est finalement sorti avec 70 000 euros d’amendes, là où l’État réclamait un million. Il reste donc encore du chemin à faire pour conforter l’Inrap dans ses missions premières : la sauvegarde et la transmission d’un patrimoine, dont nous sommes responsables face aux générations futures.

L’archéologie préventive en chiffres

- Nombre d’hectares fouillés en 2007 : 11 400 (contre 7500 en 2002)
- Nombre de diagnostics réalisés de 2002 à 2007 : 11 000 (soit 62 500 hectares étudiés avant leur aménagement)
- Nombre de chantiers de fouilles depuis 2004 : 1 100
- Budget de l’Inrap pour 2008 : 137 millions d’euros (contre 109,6 millions en 2002, soit 25 %)
- Nombre d’emplois à l’Inrap pour 2008 : 1 953 équivalent temps plein (contre 1 764 en 2005)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°277 du 14 mars 2008, avec le titre suivant : Et sous le territoire français ?

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