Wifredo, l’âme métisse

Le Musée Dapper confronte l’artiste à ses influences

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2001 - 722 mots

Né à Cuba en 1902, d’un père chinois et d’une mère afro-cubaine, Wifredo Lam a développé son propre langage au contact de l’esthétique de Picasso et des surréalistes, qu’il rencontre à Paris dans les années 1930, mais aussi de la culture africaine et des croyances afro-cubaines. Pour lui rendre hommage, le Musée Dapper expose une série de toiles réalisées de 1938 à 1961, qu’il confronte à des sculptures africaines et océaniennes proches de celles qui influencèrent le peintre.

PARIS - “J’aurai pu être un bon peintre de l’École de Paris, mais je me sentais comme un escargot hors de sa coquille. Ce qui vraiment élargit ma peinture, c’est la présence de la poésie africaine”, affirmait Wifredo Lam. C’est à Paris, en 1938, que l’artiste entre en contact avec l’art “primitif” auquel l’initient Picasso, puis André Breton et le groupe des surréalistes.

Dès lors, il devient un grand collectionneur des sculptures et masques d’Afrique, d’Océanie et d’Australie, qui lui inspirent des œuvres telle Madame Lumumba (1938) ou Jeune fille sur fond vert foncé (1940). “De Cuba à l’Europe, de Picasso et Breton à Césaire, la destinée pendulaire de Lam a engendré une œuvre entre blanc, jaune et noir, entre nature et culture, entre dictature et liberté, entre le rêve et la réalité. Wifredo est né de la conjonction d’ascendants d’Europe, d’Asie et d’Afrique, et ce sont ces derniers, porteurs de l’humiliation de l’esclavage, qui seront omniprésents dans la poétique militante de Lam”, précise l’historien d’art Jacques Dubanton dans le catalogue.

Pour évoquer son œuvre, le Musée Dapper a opté pour un parcours chronologique à rebours : de Tropique du Capricorne (1960), à Femme assise (1938), l’une des premières gouaches peintes à Paris, en passant par les créations lors du retour à Cuba (1941-1952), où il redécouvre la culture afro-cubaine, les rituels de sectes de type vaudou de la santería et des confréries ñáñigos. Pendant les années 1940, Lam élabore son propre langage plastique en utilisant aussi bien les procédés surréalistes que les formes issues des statues, masques, reliquaires et totems africains, qu’il transforme en figures révoltées et combattantes. Compilation des différentes orientations prises par son travail, La Jungle (1943) associe le genre humain à des formes animales et végétales. Il en résulte des êtres hybrides semi-végétaux, aux visages lunaires, aux fesses démesurées semblables à des fruits et parfois pourvues d’une queue-de-cheval. Comme la vraie jungle, la nature de Lam est porteuse de rythmes et de contrastes. L’association de composantes féminines et d’éléments zoomorphes est récurrente dans ses toiles. Il fait ainsi régulièrement appel à la Femme-cheval (1950), qui renvoie à une cérémonie religieuse au cours de laquelle le fidèle – désigné sous le nom de caballo (cheval) – entre en transe.

Des êtres anthropozoomorphes
En présentant des sculptures d’Océanie et d’Afrique, l’exposition met en évidence l’influence qu’elles ont eu dans l’élaboration des créatures anthropozoomorphes de Lam. Le kplékplé ivoirien, petit masque cornu, apparaît ainsi dans Je suis (1949), La Fiancée (1950), Umbral (1950) ou Lunguanda Yembe (1950). Selon les différentes croyances afro-cubaines, il pourrait s’agir de Ñaña-Yreme, le petit diable qui hante les cours des habitations, d’un des guije, esprits malins qui fréquentent la rivière, ou plus probablement de la représentation d’Eleguá, dieu au carrefour des relations entre les mondes humain et divin. La face ogivale des Mahongwe, les “masques Naja” comme les appelaient les surréalistes, porte des crocs et rampent dans Umbral (1950) tandis que les sculptures yipwon des Alamblak, en Nouvelle-Guinée – utilisées dans les rituels préparatoires aux raids guerriers et pour la fertilité des sols –, reflètent la transformation des silhouettes en cage thoracique ou en arête de poisson, comme dans Canïma et Tête (1947).

“Il semble que l’on puisse suggérer, étant donné l’importance prêtée aux masques dans l’élaboration des concepts cubistes, qu’à l’inverse, Lam part du Cubisme pour réinventer l’essence du masque”, souligne Jacques Dubanton. Les peintures évoquent aussi les principaux orichas (divinités afro-cubaines), au travers de leurs attributs : la double hache de Changó, dieu de la foudre, le sabre d’Ogún, déité du fer et de la guerre, la lance, l’épée, l’arc et les flèches d’Ochosi, dieu de la chasse ou encore les ciseaux, associés aux prêtres de la divinité des plantes, Osaín.

LAM MÉTIS

Jusqu’au 20 janvier, Musée Dapper, 35 rue Paul-Valéry, 75016 Paris, tél. 01 45 00 01 50, tlj, 11h-19h. Catalogue, 261 p., 25,92 euros (170 F).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : Wifredo, l’âme métisse

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