L'actualité vue par

Michel Laclotte

Président-directeur honoraire du Musée du Louvre

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 30 mai 2003 - 1699 mots

Historien de l’art, conservateur, Michel Laclotte a été conservateur en chef du département des Peintures du Musée du Louvre de 1966 à 1987, responsable scientifique du programme du Musée d’Orsay de 1978 à 1986, directeur du Louvre de 1987 à 1992, et enfin président-directeur de l’établissement public du Musée du Louvre de 1993 à 1994. Il a ensuite été président de la mission pour la création de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA). Michel Laclotte vient de publier Histoires de Musées, souvenirs d’un conservateur (1). Il commente l’actualité.

Comment avez-vous accueilli le contrat d’objectifs et de moyens du Louvre qui va donner plus d’autonomie au musée ?
C’est de mon temps que le Louvre est devenu un établissement public, en 1992, et je me suis battu pour cela. Nous souhaitions une indépendance forte vis-à-vis de la direction des Musées de France, qui l’a acceptée. La taille du Louvre l’imposait, et, d’autre part, l’entreprise même du “Grand Louvre” conduisait à une réelle liberté d’action du musée. Je suis très heureux que cette forme administrative fonctionne et se développe. Mes successeurs, Pierre Rosenberg et Henri Loyrette, ont mené la barque en ce sens. Que le Louvre ait et se donne davantage de moyens pour vivre, je ne peux bien évidemment que m’en réjouir.

Grâce à ce contrat, le président-directeur va disposer d’un pouvoir accru en matière des prêts, et bientôt des acquisitions.
Lorsque j’étais directeur du musée, les acquisitions étaient le fait des responsables des départements, avant d’être présentées au comité des conservateurs des musées nationaux et au conseil artistique. J’étais donc évidemment dans le coup, mais sans intervenir directement – sauf lorsque c’était souhaité par mes collègues –, pour les choix et les négociations, souvent longues et délicates, avec les donateurs ou les vendeurs. Cela ne peut guère marcher autrement : aucun président-directeur aussi compétent qu’il soit ne peut prétendre connaître toutes les civilisations, tous les marchands et amateurs qui en possèdent des pièces, et par conséquent conduire lui-même la politique d’acquisition de chaque département, depuis les objets égyptiens jusqu’aux dessins ou aux peintures. Une formule, que je ne connais pas dans le détail, va créer des comités d’acquisition par musée. Pour ma part, je regretterais beaucoup qu’on renonce aux rencontres et discussions entre conservateurs de tous les musées nationaux qu’appelait le comité des conservateurs, et cela depuis le XIXe siècle. En ce qui concerne les prêts aux expositions, c’est autre chose, on peut certainement trouver une formule consensuelle associant le directeur et le collège des conservateurs pour les décisions finales. Le patron du Louvre doit vraiment être le patron – et j’ai la prétention de croire que je l’ai été. Mais à condition que les chefs et conservateurs des sept départements, grands spécialistes respectés internationalement, restent en rapport direct avec leurs collègues du monde entier, notamment, et ce n’est pas anecdotique, pour les négociations relatives aux prêts aux expositions. En matière de prêts, qui peut leur disputer la compétence ? Eux seuls savent si telle ou telle œuvre peut ou non voyager sans risques et si l’exposition en cause présente les garanties de sérieux scientifique indispensables. Cela dit, et de façon plus générale, si les conservateurs qui dirigent les départements se sentaient excessivement bridés dans leurs responsabilités fondamentales, ils s’en iraient et la fonction n’attirerait plus les meilleurs.

C’est le cas de Jean-Pierre Cuzin, qui vient de quitter le département des Peintures du Louvre.
Je déplore tout à fait son départ, qui est une catastrophe pour le Louvre. C’est un homme d’une rare compétence, générosité et ouverture sur toutes les écoles de peinture. Il y a fort peu de conservateurs qui soient capables d’avoir comme lui une opinion directe sur un tableau du XVe ou du XIXe siècle et pas seulement sur le XVIIe et le XVIIIe siècle, dont il est spécialiste. Il a une sensibilité exceptionnelle à la peinture, qui se manifeste pour les acquisitions, les accrochages, les problèmes infiniment délicats touchant à la restauration… Sa démission, si digne et si courageuse, m’a personnellement consterné.

Vous rendez hommage dans votre ouvrage à la Réunion des musées nationaux. La mutualisation des musées semble également remise en cause aujourd’hui.
Je rends hommage très fortement à la RMN dont j’ai mesuré le rôle essentiel pour les publications, les acquisitions, les expositions et plus généralement la vie des musées, lorsque j’étais en fonction. Un des caractères forts des musées nationaux est qu’ils constituent une famille. Nous sommes le seul pays européen qui bénéficie de cette solidarité – qu’on l’appelle ou non mutualisation – sur le plan non seulement financier mais aussi sur celui du personnel, de l’activité scientifique, etc. Ce qui en diminuerait les bienfaits me semblerait regrettable et dommageable, notamment pour les musées moins éléphantesques que le Louvre ou Versailles. On verra. Je ne veux pas me poser en censeur, ni jouer le rôle des beaux-parents donneurs de conseils. Les choses évoluent, c’est normal. Moi qui ai vécu pendant une cinquantaine d’années dans ce milieu international des musées, je constate pourtant que les musées français avaient cette singularité enviée par d’autres pays. Peuvent parfaitement coexister, me semble-t-il, des établissements publics forts comme le Louvre, Versailles, ou un jour Orsay – ce qui est souhaitable –, avec une indépendance réelle à l’égard de la direction des Musées de France, qui peut, elle, continuer à assumer sa fonction coordinatrice nationale.

Que pensez-vous de l’idée de lancer des antennes du Louvre en province ?
Le Louvre a déjà en province de vraies antennes, parfois considérables comme le Musée du Petit-Palais à Avignon. Dans tous les musées de province existent depuis le XIXe siècle des dépôts du Louvre : près de 12 000 tableaux par exemple, plus du double de ce qui est au Louvre. J’ai effectué la première partie de ma carrière à l’inspection des musées de province et nous avons procédé à beaucoup de dépôts après la guerre. Les rapports entre le Louvre et les musées de province pour les expositions, les restaurations, les acquisitions ou les travaux scientifiques ont été constants ; je ne peux que me réjouir qu’ils se développent...

Y a-t-il un renouveau de la recherche en histoire de l’art en France ?
Le renouveau dans les musées existe depuis les années 1950-1960. Dans les musées, j’ai toujours plaidé pour la spécialisation ; un généraliste doit d’abord être un spécialiste. J’ai travaillé dans ma jeunesse et je continue aujourd’hui encore à travailler sur la peinture italienne des XIVe et XVe siècles. La technique d’étude, d’approche des œuvres, celle de la recherche documentaire, est plus ou moins la même appliquée à d’autres domaines. Beaucoup de conservateurs à Paris et en province le prouvent très heureusement en publiant de remarquables catalogues de leurs expositions ou de leurs collections. Un exemple tout récent : le catalogue des peintures italiennes du musée de Toulouse. C’est un jeune conservateur, Axel Hémery, qui a réalisé là un vrai travail scientifique, ce qui ne l’empêche pas de participer à tous les aspects de la vie du musée, et d’organiser des expositions. On assiste à une vraie relève : toute une génération de conservateurs entre trente et cinquante ans arrive, bien heureusement capable à la fois d’établir des ouvrages scientifiques (avec ce que cela suppose de recherches, de relations internationales avec les spécialistes), d’organiser des expositions, de veiller aux accrochages, aux acquisitions, aux restaurations, aux contacts avec le public, ceci accompagné de toute la gestion administrative et pratique qui en découle (les transports, les assurances…), tout en disposant de cet esprit de recherche, d’amour de l’œuvre d’art et de sens du service public qui justifient la fonction de conservateur. On peut dire qu’une évolution forte et heureuse s’est manifestée depuis cinquante ans dans le métier.

La prochaine ouverture de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) va-t-elle avoir un impact sur la recherche en France ?
Certainement. Mais l’INHA ne va pas se substituer à ce qui existe déjà : les recherches menées dans les universités, au CNRS, dans les musées ou au Patrimoine. Il va éventuellement coordonner certains travaux, mais surtout il fournira enfin grâce à sa bibliothèque les moyens documentaires aux chercheurs. Il va également susciter des travaux nouveaux particuliers. Déjà, plusieurs chantiers sont en cours à l’INHA, avec de jeunes chercheurs français et étrangers, sur l’histoire de l’histoire de l’art en France, les archives du XXe siècle ou l’architecture par exemple. Je m’occupe de l’un d’entre eux, en tant que simple chercheur sur l’histoire du goût et du collectionnisme de la peinture italienne en France. Aucun esprit de dirigisme, mais des collaborations avec les centres de recherche (musées et universités) en province et à l’étranger...

Une exposition vous a-t-elle particulièrement marqué dernièrement ?
“Fouquet” (2). C’est une exposition admirable, préparée de longue date par François Avril. Avant lui, Nicole Reynaud avait organisé une exposition mémorable au Louvre dans le cadre de nos dossiers du département des Peintures. Le travail d’Avril est passionnant et très neuf du point de vue de l’érudition, mais l’exposition s’adresse aussi au grand public. Elle montre que Fouquet est bien le plus grand peintre français du XVe siècle, l’égal d’un Van Eyck ou d’un Piero Della Francesca, un créateur, un artiste qui invente des formes nouvelles de représentation dans la peinture. L’œuvre est réduite : cinq ou six tableaux de lui seulement sont conservés, et les miniatures ne sont pas très faciles à voir. Mais un cycle comme celui des Heures d’Étienne Chevalier de Chantilly [Musée Condé], qui est montré d’ailleurs sur place parallèlement à l’exposition de la Bibliothèque nationale de France, est aussi beau que le cycle d’Arezzo de Piero Della Francesca. C’est de la très grande peinture. Sans faire un naïf cocorico, on voit bien que Fouquet est le premier d’une trilogie qui comprend Poussin et Cézanne. Autre réussite totale : l’exposition Léonard de Vinci au Louvre. C’est le fruit d’un long travail de Françoise Viatte et de ses collègues américains et italiens. Le résultat est tout à fait remarquable. La présentation est excellente, parfaitement articulée. Bref, c’est un exemple de la mise à disposition de la science et de l’érudition la plus exigeante, pour le plaisir de tous.

Légende photo

(1) Éd. Scala, 360 p., 18,50 euros. ISBN 2-86656-307-7

(2) Jusqu’au 22 juin, Bibliothèque nationale de France– site Richelieu, lire le JdA n° 169, 18 avril 2003.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°172 du 30 mai 2003, avec le titre suivant : Michel Laclotte

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