La loi patrimoine et création sous le rabot

Loi patrimoine et création : des promesses aux désillusions

Le projet de loi devait marquer un tournant dans la politique culturelle. Le texte ne peut que décevoir ceux qui attendaient un signe fort du gouvernement, notamment vers le soutien à la création

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2015 - 786 mots

Entre les déclarations d’Aurélie Filippetti en octobre 2014 et le texte qui devrait être bientôt discuté en conseil des ministres, le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine s’est réduit comme peau de chagrin. Il ne comprend ainsi plus de mesures concernant les artistes, tandis que les dispositions relatives aux archives ont disparu. Le texte apparaît trop souvent seulement « déclaratif ».

PARIS - « Mon objectif sera de libérer les énergies créatives au service du dynamisme de notre pays et de valoriser la création d’hier, qui est le patrimoine d’aujourd’hui, et la création d’aujourd’hui, qui sera le patrimoine de demain. » Cette annonce grandiloquente de la ministre de la Culture, devant la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2014, résonne désormais comme un écho bien lointain. Des trois projets de loi distincts mis en chantier sous l’ère d’Aurélie Filippetti ne subsiste dorénavant qu’un pâle fourre-tout législatif. Fourre-tout amputé de la majorité des concertations menées avec les professionnels du secteur, loin de la « très grande importance [attachée par la ministre] au dialogue et à la concertation », et amputé des très rares dispositions propres aux arts plastiques présentes dans le texte de décembre 2014. Du très long silence de ces derniers mois a émergé un texte porté par Fleur Pellerin réunissant la « liberté de la création – et non plus « la création » –, le patrimoine et l’architecture », avec une nette réorientation que découvre aujourd’hui l’administration centrale, écartée par le ministère dans la préparation du texte.

La comparaison entre les promesses annoncées en octobre 2014 et la réalité du texte définitif serait inélégante si elle n’offrait pas quelques éléments de réflexion. Le constat se révèle surtout moins ravageur que celui qui prendrait appui sur les promesses d’Aurélie Filippetti Le gouvernement devait rappeler à cette occasion « son attachement aux principes fondateurs de l’identité de notre pays en matière de culture : la liberté de création, mais aussi le soutien aux créateurs et la protection de leur statut ». Qu’en reste-t-il ? Rien pour les artistes-auteurs, soit les promoteurs de la création, et quelques dispositions pour les artistes-interprètes. Entre la version temporaire du texte et sa version définitive, les deux seules avancées en matière d’arts plastiques ont disparu. Il n’y a désormais plus aucune trace de l’inscription dans la loi du RSA (revenu de solidarité active), les artistes-auteurs n’étant à ce jour pas visés par la loi, mais uniquement par une circulaire interministérielle du 10 février 2010. Mais cette disparition peut s’expliquer en partie par les travaux parlementaires actuellement en cours au Sénat prévoyant une fusion du RSA activité et de la prime pour l’emploi. En revanche, la création d’un « observatoire de la création artistique » est inquiétante, face au manque de données existantes sur l’économie du secteur, données qui auraient permis la mise en place de propositions et de politiques spécifiques.

Nulle politique culturelle
S’agissant des Frac (Fonds régionaux d’art contemporain), qui devaient initialement faire l’objet d’une loi centrée sur la création, leur insertion dans le volet patrimoine de la loi marque symboliquement leur appréhension comme lieux de collection et non de création. Et la « politique culturelle » annoncée se révèle inexistante, malgré les bouleversements à venir dès janvier 2016 en raison de la mise en œuvre de la loi « NOTRe » qui, à l’image du présent texte, n’offre aucune indication sur les compétences des collectivités territoriales en matière culturelle. Enfin, l’article Ier dispose que « la création artistique est libre », principe jamais contesté par le législateur et sans aucune portée normative, alors même que la ministre rappelait une telle exigence constitutionnelle dans l’écriture de la loi (« […] en tant que magistrate, j’y veillerai tout particulièrement […] »). Le Conseil économique, social et environnemental l’a souligné, dans son avis rendu le 23 juin, en déplorant que le projet de loi se limite pour un certain nombre de dispositions « à des aspects déclaratifs s’inscrivant dans une forme de droit mou sans portée normative ».

Quant au patrimoine, des avancées fondamentales sont à noter, notamment en ce qui concerne l’amélioration des dispositions parfois vétustes de la loi de 1913 sur les monuments historiques. Mais la disparition de toute référence aux archives malgré l’important travail mené ces dernières années et le renvoi à des ordonnances pour un certain nombre de dispositions liées à la circulation des biens culturels apparaissent bien malencontreux.

Le texte annoncé, qui devait démontrer que Fleur Pellerin ne s’intéresse « pas qu’à l’audiovisuel et au numérique », selon ses propres termes, est plus que décevant, il est accablant. Et face à un calendrier parlementaire particulièrement dense à l’automne, son examen semble une nouvelle fois compromis.

Légende photo

Jean-Michel Othoniel dans son atelier. © Photo : Hubert Fanthomme.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Loi patrimoine et création : des promesses aux désillusions

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