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Whitney : trois biennales en une, et deux de trop

Par Bénédicte Ramade · Le Journal des Arts

Le 5 mai 2014 - 766 mots

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

Confiée à trois commissaires distincts, la Biennale du Whitney 2014, en dépit de quelques pépites, ne réussit toujours pas à faire événement autour de l’actualité de la scène artistique américaine.

NEW YORK - Mauvaise pioche pour le Whitney Museum qui accueille sa biennale pour une dernière fois dans ses espaces de Madison Avenue, à New York (la prochaine édition devrait avoir lieu dans les locaux actuellement en construction du centre-ville). L’institution américaine a vu trop large et sans enjeux clairement définis pour ce rendez-vous qui, au final, n’est plus très attendu à force d’insuccès. Cette fois-ci, le musée a tenté d’en externaliser le commissariat en invitant trois personnalités : le conservateur en chef de la performance et des médias du MoMA, Stuart Comer, l’artiste Anthony Elms – par ailleurs commissaire associé à l’Institute of Contemporary Art de Philadelphie – et une autre artiste, Michelle Grabner, également enseignante à l’école d’art de Chicago et fondatrice d’une galerie associative. Cette dernière est la seule à tirer son épingle du jeu au quatrième étage du bâtiment signé Marcel Breuer. Avec son accrochage qui joue volontiers la saturation, elle rassemble à elle seule plus de la moitié des artistes de la Biennale, soit une cinquantaine. Autant dire qu’on peut parfois se sentir submergé. Cependant, l’effet n’est pas rédhibitoire. Dès la première salle, quatre grandes propositions occupent tout l’espace. La prometteuse Shana Lutker de Los Angeles continue d’être fascinée par l’univers surréaliste d’André Breton et en livre une lecture érudite et hautement elliptique. Son installation conçue comme un rébus intrigue. Tout autant que l’œuvre murale monumentale d’un autre résident de Los Angeles, Karl Haendel. Son collage Theme Time, réalisé en 2013 et 2014, laisse échapper des bribes d’images noir et blanc, des cadres fractionnés. L’ensemble est hermétique mais hautement séduisant, tenant tête à une œuvre nettement plus bavarde d’un des nombreux vétérans exposés par Grabner, Ken Lum. Empruntant aux habituelles enseignes lumineuses empilées aux abords des centres commerciaux, il explore à travers de fausses activités l’histoire de la guerre du Vietnam. La littéralité est ici inversement proportionnelle aux mystères des deux autres œuvres.

La commissaire conduit son parcours par affinités, guidée par un sens des unions sensibles. Et au fil des salles se révèlent quelques pépites comme le film d’animation de Joshua Mosley, Jeu de paume (2014). Dans la salle du château de Fontainebleau reconstituée à l’échelle de marionnettes, le spectateur suit une partie subtilement chorégraphiée, sans objet mais totalement hypnotique, la caméra bougeant sur le terrain comme un troisième joueur. L’équilibre est subtil, provoquant une belle rencontre avec l’univers de cet artiste passé par l’école d’art de Chicago (un ancien élève de Grabner peut-être ?). Dans le parcours est venue se greffer l’œuvre de Zoe Leonard choisie par Anthony Elms, soit une gigantesque camera obscura. La réflexion de la ville sur les murs d’une salle imposante est très réussie, mais quelle est son actualité si ce n’est un hommage aux lieux qui n’accueilleront bientôt plus d’art ? Le geste apparaît finalement un peu vain. Et hormis le bel ensemble du quatrième étage, éclectique et foisonnant, la Biennale reste sur ce constat d’une initiative assez dérisoire.

Redécouvertes
Ce qui étonne dans cette édition, c’est la présence de ces disparus (Channa Horwitz, Gretchen Bender, Tony Greene…), d’œuvres anciennes et d’un grand contingent de quinquagénaires. Le mandat initial de la Biennale du Whitney, qui se veut le reflet de l’actualité de la scène artistique américaine sur son vaste territoire, est pour le moins rendu élastique. Chacun des étages aura joué d’ailleurs à un repêchage de l’histoire : Grabner a « découvert » John Mason, 86 ans ; Comer expose Etel Adnan, 89 ans ; et Elms a multiplié les hommages dont l’un consacré à Allan Sekula, décédé en 2013.

Les ensembles des deux étages inférieurs n’en sortent pas gagnants pour autant car si les noms sont parfois inconnus, les formes sont, elles, parfaitement balisées. On récupérera toutefois dans ce maelström mal maîtrisé les peintures ultra-réalistes de l’américanité selon Keith Mayerson et les Megazines de Lisa Anne Auerbach, mais on évitera absolument l’affligeante installation de Bjarne Melgaard, totalement pathétique (du sous-Ryan Trecartin, c’est dire). Chez Elms, juste en dessous, les meilleures propositions sont invisibles. Ainsi de l’enregistrement d’un couloir aérien après le 11-Septembre, forcément mutique, réalisé par Matt Hanner du collectif Academy Records. Sans l’aide du critique du New York Times, Holland Cotter, l’œuvre serait passée inaperçue. C’est donc une mauvaise pioche. Et à la sortie de cette 77e édition de la Biennale du Whitney, bien malins ceux qui pourront en dresser un portrait concret, si ce n’est celui d’un rendez-vous encore partiellement manqué.

Biennale du Whitney

Jusqu’au 25 mai, Whitney Museum of American Art, 945 Madison Avenue, New York, tél. 1 212 570 3600, du mercredi au dimanche 11h-18, vendredi jusqu’à 21h
www.whitney.org
Catalogue, 416 p., 55 $, env. 40 €.

Légende photo
John Mason, Blue Figure, 2002, céramique,149,9 x 60,3 x 60,3 cm, collection de l'artiste. © Photo : Fredrik Nilsen. Courtesy David Kordansky Gallery, Los Angeles.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°413 du 9 mai 2014, avec le titre suivant : Whitney : trois biennales en une, et deux de trop

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