Art contemporain

Grand Palais

Les disparitions de Bill Viola

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 25 mars 2014 - 686 mots

Les installations monumentales du vidéaste américain révèlent une préoccupation pour le rapport dialectique entre apparition et disparition. Au risque de lasser.

PARIS - De la visite d’une exposition consacrée à Bill Viola le visiteur ressort invariablement avec la sensation de s’être isolé l’espace de quelques instants, pas vraiment définis au demeurant, dans une bulle temporelle, un ailleurs perceptif et sensoriel. C’est d’autant plus le cas lorsque sont regroupées dix-neuf installations, ainsi que le proposent les Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, sur deux niveaux de leurs espaces d’expositions. Dix-neuf œuvres, cela pourrait paraître peu, mais c’est en fait beaucoup au vu de l’aménagement nécessaire de chaque salle et du déploiement technique inhérent afin de créer les conditions visuelles et acoustiques propices à chacune – qui nécessitent en outre une attention constante, trois d’entre elles étant en panne un jour de visite lambda. Car chez l’artiste américain, considéré comme l’un des papes de l’art vidéo, l’ouïe est aussi importante que le regard. Pour qui l’aurait oublié, cette visite fait office de piqûre de rappel, où partout l’immersion du spectateur dans l’univers de l’artiste tient pour beaucoup à une excellente gestion des sonorités enveloppantes parfaitement calibrées – souvent à l’aide de plusieurs canaux audio – afin d’entretenir une forme de tension dans la réception de l’œuvre.

Viola a d’ailleurs produit des pièces spécifiquement sonores, telle Présence (1995) installée dans les escaliers, dans laquelle se mêlent des voix de différentes générations semblant conter des histoires sur le mode du secret, entre dissimulation et révélation. Une double dialectique, c’est bien ce qui anime le corpus du travail de l’artiste, où s’inscrit une dichotomie entre apparition et disparition autour d’un questionnement central de l’être au monde et de l’existence. Dès la première salle une œuvre ancienne, The Reflecting Pool (1977-1979) donne à voir un plongeur dont l’action est subitement figée au-dessus d’un bassin, tandis que la surface de l’eau continue à se mouvoir et à laisser apparaître des reflets de la nature environnante ou de personnages passant par là, avant que lui-même ne disparaisse dans l’eau puis ne réapparaisse plus tard. Autre travail séminal, Chott El-Djerid (A Portrait in Light and Heat) (1979) s’inscrit dans un univers désertique propice à l’apparition de mirages, aussi fugaces qu’ils remettent en cause l’idée même d’une possible perception du réel. Le temps semble étiré, distordu, d’autant que souvent la nature même des images, d’une résolution extrême et fortement contrastées, semblent poursuivre le but d’une déréalisation du réel qui permettrait d’atteindre autre chose, un ailleurs indéfini, comme dans la complexe installation en cinq projections Going Forth by Day (2002), où sont explorés les ressorts de l’existence, entre vie, mort et renaissance.

Métaphysique rodée
Bon nombre d’œuvres exécutées à partir du début des années 2000 voient en effet s’installer une contingence beaucoup plus volontiers métaphysique, presque portée par une quête de la transcendance, et sont elles aussi basées sur la dualité. De Fire Woman (2005), immense projection où la silhouette d’une femme figée devant un gigantesque incendie finit par disparaître dans la surface de son propre reflet, au célèbre Ascension (2000) qui voit un homme chuter lourdement dans l’eau, nimbé par un rayon lumineux, avant de remonter puis de disparaître dans les profondeurs, en passant par Man Searching for Immortality / Woman Searching for Eternity (2013), diptyque projeté sur deux dalles de granit noir où apparaissent un homme et une femme âgés, nus, scrutant leur corps à l’aide d’une lampe, avant de s’évanouir. Reste que la multiplication de telles productions, trop nombreuses et trop semblables dans leur champ visuel autant que lexical et dialectique, finit par installer la sensation d’un artiste devenu prisonnier, tant de son esthétique que d’un discours désormais réduit à quelques sentences tournant en boucle. La maestria technique ne fait pas tout.

Bill viola

Commissariat : Jérôme Neutres, Conseiller du président du Grand Palais et Kira Perov, directrice du Studio Bill Viola
Nombre d’œuvres : 19

Jusqu’au 21 juillet, Grand Palais, Galeries nationales, avenue Winston Churchill, 75008 Paris
tél. 01 44 13 17 17
www.grandpalais.fr
tlj sauf mardi 10h-22h, dimanche et lundi 10h-20h
Catalogue éd. RMN – Grand Palais, 180 p., 35 €

Légende photo

Bill Viola, Fire Woman, 2005, projection vidéo couleurs haute définition, quatre enceintes, 11 minutes 12 secondes, performeur : Robin Bonaccorsi, collection Pinault. © Photo : Kira Perov.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : Les disparitions de Bill Viola

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque