Michel Hilaire - Directeur du Musée Fabre à Montpellier

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 17 octobre 2012 - 1754 mots

Le commissaire de l’exposition « Courbet » en 2008, et tout récemment « Caravage et le caravagisme », est aussi celui qui a réussi à transformer un petit musée de province en une institution reconnue internationalement.

Plus de 200 000 entrées pour l’étape de Montpellier. L’exposition sur le Caravage et ses suiveurs qui vient de se clore à la mi-octobre au Musée Fabre (1) a franchi la barre de la rétrospective « Courbet » en ce même lieu. En incluant son autre volet aux Augustins de Toulouse, le total dépasse les 270 000 entrées.

L’événement consacre une personnalité : celle de Michel Hilaire, 54 ans, directeur du Musée Fabre, qui s’est battu pendant plus de huit ans pour sa mise en œuvre au sein du réseau franco-américain des musées de province, le Frame. Aussi est-ce tout logiquement qu’il a reçu fin septembre la vingtaine d’émissaires de son XIVe congrès annuel. Sur un sujet pourtant déjà largement traité (du moins en Italie ou en Amérique du Nord, pas en France), ces conservateurs ainsi que d’autres spécialistes s’accordent à dire qu’il a monté un accrochage d’une grande habileté, faisant résonner les concordances et les différences entre les zones géographiques, les époques et chacun des artistes représentés. « À une exposition, assure-t-il, il faut une construction. Il faut ressentir également du plaisir, mais ce propos intellectuel est indispensable pour atteindre le grand public. » Un principe qu’il a amplement mis en pratique depuis « Grand Siècle », expositions qu’il a amenée en 1993 à Montpellier ; « Sébastien Bourdon », montée avec le regretté Jacques Thuillier qu’il tient pour son grand maître ; « Courbet » (qui était au départ programmée en Allemagne) ; « Fabre », l’année de la réouverture du musée en 2007, ou « Cabanel ».

« C’est une personnalité du Sud ! », s’exclame un jeune commissaire-priseur marseillais, Damien Leclere, chez lequel il a pu à l’occasion enrichir le fonds du musée, et qui vante la disponibilité et l’ouverture d’esprit d’un conservateur, « sans complaisance » mais qui ne tient pas les marchands pour des adversaires irréductibles. Et qui, des musées de province, est certainement celui qui a le plus enrichi son fonds, grâce à une politique d’acquisitions soutenue.

Marqué par Schnapper
Michel Hilaire, en effet, est un enfant de la Méditerranée, né dans une famille d’origine à la fois corse et ardéchoise, dont les parents s’étaient installés en Algérie et en Tunisie. Une famille dont il partage le souvenir d’un âge d’or, avouant un « fort tropisme » qui l’a entraîné dans ses études : « J’étais programmé pour l’histoire. » Il s’est inscrit dans cette discipline à la Sorbonne, s’orientant vers l’École du Louvre et l’Institut d’art et d’archéologie, où il été marqué par l’enseignement d’un Antoine Schnapper, qui revisita l’influence de Jacques Louis David dans l’esprit hérité d’André Chastel.

À 26 ans, Michel Hilaire fut admis comme conservateur d’État au concours des musées de France. À cette époque, les sélectionnés devaient suivre trois stages. Au Musée d’Orsay, il s’est frotté à l’école de Barbizon et à la collection Chauchard, lors du raccrochage au rez-de-chaussée. Il a toujours conservé une relation amicale avec les deux figures rencontrées à cette occasion, Françoise Cachin et Michel Laclotte. Françoise, qui tenait le jeune conservateur pour son préféré, n’a jamais oublié qu’il fut l’un des rares à réprouver leur éviction indigne du Conseil artistique des musées, pour avoir émis des réserves envers l’implantation du Louvre à Abou Dhabi (Émirats arabes unis). Lors de ces années d’apprentissage, Michel Hilaire croisa aussi la route d’un savant de la vieille école, Jean-Pierre Samoyault, au château de Fontainebleau. Il prit surtout le chemin du Louvre, avec la chance de suivre auprès de Pierre Rosenberg le montage de l’exposition « Boucher » au Grand Palais, en 1986. Signe prémonitoire, il put apporter une petite pierre, deux ans plus tard, à la présentation des tableaux du Seicento, le siècle de Caravage, prélevés parmi les collections publiques françaises.

Nouvelle étape quand il fut admis à l’Académie de France à Rome, où il côtoya plutôt des esprits littéraires comme Hervé Guibert. Le jeune pensionnaire ne devait déjà pas manquer d’ambition, puisqu’il était assez fier d’occuper la chambre de la tour, dotée d’une vue splendide sur Rome. Lieu idéal sans doute pour passer studieusement en revue le paysage chez les peintres français du XVIIe à Rome. Il porte aux nues ces deux pôles opposés que sont Poussin et le Caravage, « même si l’un a dit de l’autre qu’il était venu au monde pour détruire la peinture ». Il a repris ce sujet, qu’il avait enrichi par les cours d’Hervé Oursel à l’École du Louvre, en 1996 dans son exposition sur la nature du XVIIe au XIXe siècle.

« Je veux être directeur ici »
Revenu de Rome, le jeune conservateur accepta à l’invitation de Germain Viatte de rejoindre l’inspection générale des musées, qui lui offrit l’occasion de découvrir les fonds de province. Il fut notamment chargé de préparer l’exposition sur le Grand Siècle dans les collections françaises, requise par le Musée de Montréal, qu’il put par la suite présenter à Montpellier. C’est alors que Michel Hilaire fut invité à prendre le grand tournant de sa carrière, en acceptant de venir s’occuper du Musée Fabre. Il n’a pas manqué de trouver des échos dans la personnalité de François-Xavier Fabre, ce peintre néoclassique passé par l’atelier de David qui l’avait précédé à l’Académie de France à Rome, « Italien d’adoption, qui a vécu trente ans à Florence, passant ses vacances dans les palaces du Languedoc, devant cette mer immortalisée par Courbet, celle qui me rappelle les plages de la Goulette de mon enfance ». La première fois que, adolescent, Michel Hilaire avait visité le Musée Fabre, il s’était dit : « Je veux être directeur ici, pour tout refaire. »

En 1990, l’offre lui fut faite. « C’était kamikaze », se souvient-il. À 32 ans, son expérience était limitée. Or il fut vite appelé à conduire la rénovation complète des lieux, l’extension du musée, le raccrochage des collections. Pendant quatre ans, l’hôtel particulier dut fermer ses portes pour un chantier qui a duré en tout sept ans. « À son arrivée, c’était un tout petit musée de province, malgré la beauté des collections. Il en a fait un centre de référence en région, à l’échelle nationale et maintenant internationale », résume Numa Hambursin. Pour ce jeune galeriste, qui s’occupe d’un centre d’exposition à Montpellier, le Carré Sainte-Anne, l’entreprise tient du « tour de force ». Rien n’aurait été possible, reconnaît l’intéressé, sans l’engagement de l’ancien maire Georges Frèche. De ce roitelet ubuesque, Hilaire ne veut retenir que « sa vision » et son engagement – incontestable – envers la culture : « Il m’a promis qu’il allait réaliser un grand musée, en me demandant juste d’attendre quelques années. Et il a tenu sa promesse. Et, dans un second temps, il a déménagé la bibliothèque pour permettre l’extension. »

« Il a quand même fallu, de la part de Michel Hilaire, faire preuve d’un sacré talent de conviction, reprend Numa Hambursin, car si Frèche appréciait la musique, l’opéra ou le spectacle vivant, de lui-même, il n’était pas du tout porté sur l’art classique. » Mais il a vite compris l’intérêt pour sa ville d’y tenir des expositions brillantes. Ainsi, pour Hambursin, cet aîné de vingt ans est devenu « la personnalité absolument incontournable » du Midi, « un modèle » dans le monde des conservateurs. Et quand on lui fait remarquer que, même s’il s’est distingué par l’intelligence de l’accrochage des Soulages, il n’a pas beaucoup poussé l’art contemporain à entrer dans ses murs, il le défend : « Est-ce sa faute ? ou bien la municipalité aurait-elle dû songer à ouvrir un autre lieu spécifique ? Dans tous les cas, je peux vous dire qu’il fait montre envers la création d’aujourd’hui d’une grande sensibilité. Avec lui, on peut commencer à parler d’un artiste à 19 heures et finir à 7 heures du matin. » Tout le monde reconnaît cette passion qu’il adore partager.

Un meneur
Archéologue, ami de longue date, Jean-Pierre Darmon n’oubliera pas de sitôt sa récente visite du
« Caravagisme », le directeur s’arrêtant pour la énième fois devant tous les tableaux, « parlant de chaque artiste avec une passion jamais démentie, et une érudition fascinante ». Lui-même peintre, Vincent Bouliès vante à son tour son œil et son goût de la matière : « Son avis compte beaucoup pour moi. Quand il vient dans l’atelier, il repère les défauts, il parle de mes compositions d’une telle manière que j’ai le sentiment rare de converser avec un autre peintre. Il doit peindre en cachette ! », me dis-je parfois. En vérité, dans son enfance, Michel Hilaire aimait dessiner ou triturer des sculptures en argile, mais sa vocation ne s’est pas épanouie jusqu’au grand public, qu’il aime atteindre par d’autres voies aujourd’hui.

« Un homme très déterminé, fort de son caractère », renchérit Pierre Morin, homme d’affaires et amateur d’art installé à Bruxelles, qui fit sa rencontre à l’occasion d’une demande de mécénat il y a cinq ans. « Quand il a un projet, rien ne va l’arrêter. Il va tout faire pour le mener à bien. Il sait emmener ses équipes. Quand il vous dit : dans cinq ou dans trois ans, nous allons faire cela, il délivre. Dans ce milieu, je puis vous l’assurer, c’est très rare. » « C’est un travailleur acharné, témoigne Darmon, qui a réalisé lui-même presque tous les catalogues du musée depuis vingt ans »… Impérieux Hilaire, un peu à l’image d’un Loyrette au Louvre ? Un grand chêne sous lequel un arbre peut difficilement pousser ? ou, comme le disent deux de ses collaborateurs, un formateur qui laisse « beaucoup plus de liberté qu’on ne veut bien le dire parfois » ? Le départ pour Rouen d’un pilier de l’équipe, Sylvain Amic, préfigure en tout cas un nouveau chapitre à écrire, non sans douleurs passagères, tant les deux hommes semblaient nourrir une relation père-fils.

En vérité, même s’il ne s’exprime guère à ce sujet, la question se pose inévitablement à Michel Hilaire lui-même, après plus de vingt ans passés à avoir bâti le plus prestigieux musée hors de la capitale. À Orsay ou au Louvre fondamentalement, peu de places pourraient lui convenir. À son ami, dont le destin semble toujours avoir été écrit à l’avance, Jean-Pierre Darmon lance : « Je lui souhaite un grand avenir. »

Notes

(1) lire le JdA n° 373, 6 juillet 2012.

Michel Hilaire en dates

1958 Naissance à Privas (Ardèche).

1984 Concours de conservateur de musée.

1987 Pensionnaire à l’Académie de France à Rome, Villa Médicis.

1992 Directeur du Musée Fabre à Montpellier.

1993 Exposition « Grand Siècle, peintures françaises du XVIIe siècle dans les collections publiques françaises ».

2007 Rétrospective « François-Xavier Fabre, peintre et collectionneur », pour la réouverture après sept années de travaux.

2008 « Gustave Courbet », Grand Palais à Paris, Metropolitan Museum of Art à New York et Musée Fabre.

2012 « Corps et ombres, Caravage et le caravagisme européen », musées de Montpellier et Toulouse, avant Los Angeles et Hartford aux États-Unis.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°377 du 19 octobre 2012, avec le titre suivant : Michel Hilaire - Directeur du Musée Fabre à Montpellier

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