Focus sur les musées d’Archéologie

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2012 - 1486 mots

Confrontés à un afflux considérable de matériels issus de fouilles, les musées archéologiques, encore trop peu visibles dans notre palmarès, se démènent pour disposer d’espaces suffisants de stockage.

Pour leur 3e édition, les 22, 23 et 24 juin prochains, les journées de l’archéologie réuniront les principaux acteurs de la discipline, archéologues, chercheurs, conservateurs et responsables locaux. Tous s’attacheront à sensibiliser le public à une science humaine qui a connu un essor décisif ces vingt dernières années. Si les musées d’archéologie font depuis longtemps partie du paysage culturel français, le développement de l’archéologie préventive et les nouveaux champs d’étude ont, en effet, bouleversé la donne. Longtemps considérés comme les dépôts naturels des chantiers de fouilles, la quasi-totalité d’entre eux sont aujourd’hui confrontés à un problème majeur : la saturation de leurs réserves. Quelles sont les solutions adoptées pour les années à venir ? Quelle politique faut-il mener à l’échelle du territoire pour sauvegarder les archives du sol ? Comment, plus généralement, le mobilier exhumé passe du chantier de fouilles au musée ? Le palmarès offre l’occasion de mettre en lumière ces musées spécifiques, peu visibles, voire absents, du classement 2011 – le premier à y figurer, le Musée-site archéologique Saint-Romain-en-Gal, à Lyon, occupe la 29e place, le deuxième, le Musée Saint Raymond-Musée des Antiques de Toulouse, est classé 69e.

La chaîne archéologique du mobilier
Le mobilier archéologique parvient au musée au terme d’un parcours complexe : une fois le matériel exhumé et traité, les archéologues disposent d’un délai de deux ans pour remettre un rapport de fouilles avec un inventaire précis, le DFS (document final de synthèse). Le mobilier est conservé dans des dépôts avant de pouvoir rejoindre l’un des musées concernés, et ce aux termes de démarches administratives parfois longues pour lesquelles les services archéologiques des collectivités jouent les intermédiaires. « Il y a un hiatus entre le temps des fouilles, la remise du rapport et le moment où le service archéologique doit gérer le transfert. Cela peut être très long et il est difficile de restituer au public l’état de la recherche.

Les nécropoles gallo-romaines découvertes ici en 2010 ne pourront faire l’objet d’une exposition temporaire qu’en 2016 », note ainsi Cécile Sauvage, directrice d’Archéa, à Louvres (Val d’Oise). Par principe indivisible et inaliénable, le mobilier archéologique appartient, en théorie, pour moitié à l’État, pour moitié au propriétaire du terrain où il a été découvert. L’État peut déposer au musée la part qui lui revient, par le biais de conventions, mais cette double répartition rend la gestion et la valorisation du matériel archéologique ardue, comme le soulignait déjà le rapport remis par Alain Duval en 2004. Faute de temps et de moyens, certains DFS sont lacunaires, voire inexistants, ce qui complexifie encore un peu plus la situation. « Les réflexions menées depuis une quinzaine d’années sur la chaîne de l’objet archéologique, ont montré que nombre d’informations se perdent du chantier de fouilles au musée. Il faut réfléchir à une politique de conservation cohérente globale », conclut Cécile Sauvage. Pour elle comme pour Bernadette Schnitzler, conservatrice du Musée archéologique de Strasbourg, la solution se trouve dans « un échange constant avec les archéologues. Ils nous fournissent des informations sur le terrain, nous pouvons les guider pour tout ce qui est conservation des objets ».

Saturation des réserves
Tout comme le Musée Saint-Romain-en-Gal, à Lyon, le Musée départemental de l’Arles antique a l’avantage de disposer d’une équipe d’archéologues en interne. Au nombre de trois, ils officient à Arles pour le musée qui passe également des conventions avec d’autres services, comme la DRASSM (Le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines) ou l’Inrap. Ils peuvent ainsi participer à d’autres opérations de fouilles que les leurs. Particulièrement bien loti, l’Arles Antique dispose aussi de son propre laboratoire et d’un atelier de restauration pour les mosaïques antiques, ainsi que de trois espaces de réserves, dont un de 2000 m2 consacré au dépôt des fouilles. Mais même ici, les réserves arrivent à saturation et Alain Charron, le conservateur en chef, reconnaît que celles-ci sont prêtes « à exploser ». Ce problème récurrent touche les musées archéologiques autant que les dépôts des fouilles de l’État, construits au coup par coup sur tout le territoire et dont les conditions de conservation laissent parfois à désirer. Depuis les années 2000, une réflexion s’est imposée pour favoriser le transfert du mobilier archéologique aux collectivités territoriales et développer des espaces de conservation satisfaisants permettant aussi que les vestiges soient accessibles aux chercheurs. C’est dans ce cadre qu’ont été imaginés les CCE, Centre de conservation et d’études, fruits d’un partenariat entre l’État et les collectivités dont les contours juridiques et financiers demeurent flous. Comme le souligne Évelyne Ugaglia, à la tête du Musée Saint-Raymond de Toulouse, « le CCE suppose des surfaces énormes et un personnel conséquent, il ne suffit pas de stocker, il s’agit bien de gérer, restaurer, conserver, étudier… ».

Nombre de projets sont en germe, mais peinent à trouver un élan décisif à leur concrétisation. Le CCE René Rémond de Lons-le-Saunier inauguré en mars 2010 en offre un bon exemple. Réunissant les réserves des musées d’archéologie du Jura et des beaux-arts de Lons-le-Saunier, ainsi que le service municipal d’archéologie, il a été installé dans un bâtiment à énergie positive reconnu HQE (haute qualité environnementale). D’un coût global de trois millions d’euros, il a été financé par l’État (à hauteur de 35 %), la ville (32 %), le Conseil régional Franche-Comté (17 %) et le Conseil général du Jura (16 %). Le Musée Archea a lancé un vaste projet de CCE validé dans le cadre du Grand Paris pour une ouverture annoncée entre 2015 et 2020, tandis qu’un établissement de ce type est attendu au Musée d’archéologie nationale, où le nouveau directeur Hilaire Multon promet que la question des réserves demeurera centrale.

Autre question cruciale pour les musées d’archéologie, directement liée au problème de saturation des réserves : l’indispensable tri à opérer dans les grands ensembles collectés. Comme l’explique Bernadette Schnitzler, « c’est l’ensemble du mobilier archéologique qui est intéressant. Néanmoins, une fois qu’il a été étudié, il faut envisager de jeter une partie de ce matériel. Les musées ne peuvent conserver l’intégralité des trois cents caisses de tessons de céramiques récoltées au terme d’une seule fouille ». À Toulouse, les produits de la fouille du site de la caserne Niel ne représentent rien de moins que 30 tonnes de fragments métalliques, 400 amphores, 10 tonnes de céramiques, 20 000 objets ! Il faut donc se résoudre à jeter après avoir étudié le matériel archéologique et constitué un échantillonnage. Si la pratique est courante, quantité de matériels archéologiques n’ont toujours pas été étudiés. « Les volumes deviennent exponentiels, mais pour trier il faut connaître. Il faut bien distinguer les collections d’étude des collections patrimoniales qui, elles, doivent être léguées aux générations futures. Le CCE pourrait rassembler ce mobilier et le rendre accessible aux chercheurs pour que le travail ait lieu. Il s’agit d’une question de fond qui agite beaucoup la communauté scientifique », analyse Hugues Savay-Guerraz, directeur du Musée de Lyon Fourvière. Cette double problématique autour du matériel archéologique devra être résolue à court terme sous peine de mettre en péril des pans entiers de notre patrimoine.

Le Languedoc-Roussillon met l’archéologie à l’honneur

Deux grands musées de la Romanité sont annoncés prochainement en Languedoc-Roussillon, l’un porté par la région, à Narbonne, l’autre, par la ville de Nîmes. Dans les deux cas, il s’agit de projets ambitieux destinés à valoriser les collections archéologiques des musées. Le Musée archéologique de Narbonne devrait ainsi être entièrement repensé et s’installer dans un nouveau bâtiment de 9 000 m2 signé Norman Foster. Doté d’un centre d’études, de conservation et de restauration de peintures murales, il rassemblera les collections narbonnaises éparpillées entre le Musée lapidaire, le Musée archéologique de la ville et les dépôts archéologiques. Ce nouveau grand musée, dont le nom n’est pas encore arrêté, « inclut la dimension d’un CCE. Il fera le lien entre les activités de terrains et la valorisation auprès du public », comme le précise son directeur Ambroise Lassalle. L’ensemble sera situé sur un terrain de trois hectares mis à disposition par la ville. Lancé en 2010, ce projet de 40 millions d’euros qui devrait aboutir au printemps 2016 concrétise les ambitions de la région qui souhaite développer une dynamique entre les différents musées archéologiques de son territoire, parmi lesquels figurent le Musée de l’Éphèbe d’Agde, consacré à l’archéologie sous-marine, le site archéologique Lattara-Musée Henri Prades à Lattes, réputé pour ses collections protohistoriques, et le futur Musée de la romanité, à Nîmes, autre grand programme archéologique des prochaines années. L’ouverture est prévue en 2017, pour un coût de 59 millions d’euros (dont 10 millions apportés par la région). Érigé en centre-ville, sur l’îlot Grillot, ce musée municipal de 10 000 m2 a été imaginé par Élizabeth et Christian de Portzamparc qui ont conçu une architecture de verre comme en lévitation, en résonance avec les Arènes de la ville.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°372 du 22 juin 2012, avec le titre suivant : Focus sur les musées d’Archéologie

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