Zoltan Kemeny, que vive la matière

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 septembre 2004 - 433 mots

En 1964, lors de la XXXIIe Biennale de Venise, quand, à la surprise générale, Robert Rauschenberg se voit décerner le Grand Prix de peinture, il vole sans le vouloir la vedette au représentant de la Suisse, Zoltan Kemeny, qui reçoit celui de sculpture. Si les œuvres du Hongrois et de l’Américain ont ceci de commun qu’elles en appellent toutes deux à la pratique de l’assemblage, celle du premier à la différence de celle du second se réfère à l’idée d’un art brut, sinon élémentaire, qui met en exergue des qualités fondamentalement matiéristes. Originaire de Transylvanie occidentale, né à Banica en 1907, Kemeny se frotte tout d’abord à l’art populaire hongrois, puis suit des études de peinture à l’école des beaux-arts de Budapest pour se fixer finalement à Paris dans les années 1930 où il fait divers petits boulots tout en entamant une brillante carrière de dessinateur de mode. Membre fondateur en 1938 avec sa femme Madeleine Szemere du magazine zurichois Annabelle, auquel il collaborera jusqu’en 1960, il est contraint de s’installer en Suisse du fait de sa judéité. C’est là qu’au début des années 1940, il reprend la peinture et commence à exposer. Lors de sa première exposition parisienne à la galerie Kléber, en 1946, sa rencontre avec Dubuffet le conforte dans la création de reliefs collages faits de matériaux hétérogènes. Peu à peu, l’artiste ne va plus utiliser que le métal et toutes sortes d’objets divers comme des clous, des plaques, des petites tiges de fer, d’acier, de laiton ou de cuivre, les soudant entre eux pour constituer de puissantes compositions abstraites. Sa façon de les ordonner sur un fond métallique auquel il a imprimé au préalable un mouvement leur confère une dynamique qu’accusent les jeux de lumière sur les éléments soudés. Ces sortes d’Images en relief – titre d’une série entamée en 1955 – connaissent très vite un immense succès. Entre peinture et sculpture, les œuvres de Kemeny sont autant de surfaces vives dont la forte matérialité le dispute à une dimension paradoxalement organique. Grâce à la générosité de sa veuve qui a légué au Musée national d’art moderne plus d’une centaine de pièces, l’institution parisienne possède le fonds Kemeny le plus important au monde. Dans une actualité trop souvent superficielle, il est heureux d’inviter le regard à reprendre en considération l’art de ce singulier artiste. Pour mieux prendre la mesure du contingent et apprécier à quelle métamorphose on peut le soumettre.

« Zoltan Kemeny. Les donations de Madeleine Kemeny au Musée national d’art moderne », PARIS, Centre Pompidou, galerie du musée, IVe, tél. 01 44 78 12 33, 30 juin-27 septembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°561 du 1 septembre 2004, avec le titre suivant : Zoltan Kemeny, que vive la matière

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