Paroles d'artiste

Yang Fudong : « Des impressions colorées entre réalité et illusion »

Les photographies et vidéos de Yang Fudong sont à découvrir dans l’espace onirique créé à la galerie Marian Goodman

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 5 mai 2015 - 727 mots

À la galerie Marian Goodman, à Paris, Yang Fudong (né en 1971 à Pékin) propose des photographies ainsi qu’une nouvelle installation vidéo qui immerge le spectateur dans un espace onirique où cinq écrans donnent à voir des jeunes femmes évoluant dans des décors en toc (The Coloured Sky : New Women II, 2015).

Votre nouvelle installation vidéo s’inscrit dans un univers totalement onirique. Celui-ci a-t-il à voir avec une forme de divagation mentale ?
Oui tout à fait, mais je repense à un film antérieur, New Women I (2013), qui était en noir et blanc mais très atmosphérique également. Ici tout se passe dans un espace intime, privé, où les couleurs sont très importantes. Je repense à une image et un sentiment d’enfance, lorsqu’en mangeant un bonbon on avait en main l’emballage, et qu’en le regardant à la lumière du soleil on voyait apparaître plein de couleurs. Ce film tourne vraiment autour de cela : des apparitions, des impressions colorées entre réalité et illusion. Il n’y a pas de lien à la science-fiction, juste aux illusions de l’enfance.

Au travers du regard que vous portez sur ces jeunes filles, imaginez-vous ce que pourrait être la femme de demain ?
L’adjectif que nous utiliserions en chinois pour les qualifier serait le terme « neuves », ce qui n’a pas exactement la même signification chez vous, car pour nous cela voudrait plutôt dire « jeunes ». C’est jeune parce que c’est neuf, ce qui fait qu’il y a peut-être chez ces personnages des potentialités, des choses imprévisibles pour le futur. Le côté jeune est relatif aux changements qui peuvent advenir dans le temps long qui s’ouvre à elles. Ce qui m’intéresse, c’est donc plutôt comment elles se projettent dans l’avenir, comment elles donnent une structure à leurs rêves et quelles sont les possibilités de sentiments pour leur génération, sentiments mi-réels mi-imaginés.

L’aspect factice et complètement fabriqué des décors et du film relève d’une esthétique assumée. Souhaitiez-vous insister sur une atmosphère hors du réel qui provoque également un complet décalage temporel ?

Le décor complètement factice est là pour provoquer un grand contraste avec les jeunes filles elles-mêmes. Il agit justement comme un régulateur, car il y a une très grande différence entre les rêves et la réalité. Les jeunes femmes dans ce film ne font que rêver : elles pensent au futur, qui n’est évidemment pas la réalité. Ce décor me permet de m’amuser avec les idées de « qu’est-ce qui est vrai ou pas ? », « qu’est-ce qui va ensuite se réaliser ou pas ? ». Quant au décalage temporel, parfois une époque passée peut paraître plus proche que notre propre présent. Et surtout, dans les rêves on mélange tout et en particulier le temps. Ce décalage est donc important pour moi, car de toute façon un rêve n’a pas vraiment de date, donc pas de temporalité.

Diriez-vous qu’il y a une histoire dans cette œuvre, ou s’agit-il plutôt d’une suite d’impressions ?
Ce qui pour moi est important dans ce film, c’est de faire rejaillir des sentiments. Je prends une image, l’image est un objet…, un peu comme une jeune femme qui aurait un petit sac rempli de petits objets. Et j’utilise ces objets-là pour raconter une histoire à l’aide d’une narration atypique. Il y a une narration mais elle est fragmentée, ce sont des éléments épars qui peuvent être rassemblés ou pas. Après avoir tourné des films « traditionnels », linéaires et projetés sur un seul écran, j’ai eu envie d’investir l’espace et l’installation vidéo à plusieurs écrans. Le cinéma dans l’espace est un bon moyen de trouver une nouvelle forme de narration, d’autant que cela permet au spectateur de devenir presque un deuxième auteur qui va avoir le loisir de monter lui-même un film, et donc une histoire en quelque sorte. Chaque expérience sera du coup complètement unique et individuelle.

Dans cette liberté laissée au « montage », n’y a-t-il pas une volonté de perdre un peu le spectateur, car les films n’ont pas la même durée, ne sont pas synchronisés et ont tous des sons différents qui se mélangent ?
Je suis d’accord, c’est une manière d’égarer le spectateur. Mais je trouve que c’est intéressant car celui-ci peut avoir une vision globale et n’est pas obligé de regarder un seul écran. Ce qui m’intéresse aussi, c’est le sentiment d’être enveloppé par les écrans.

YANG FUDONG. THE COLOURED SKY: NEW WOMEN II

Jusqu’au 30 mai, Galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 48 04 70 52, www.mariangoodman.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°435 du 8 mai 2015, avec le titre suivant : Yang Fudong : « Des impressions colorées entre réalité et illusion »

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