Wolfgang Tillmans s’approprie la bibliothèque du Centre Pompidou

Paris. Le 22 septembre prochain, l’exposition « Wolfgang Tillmans » (né en 1968 en Allemagne) s’achèvera et le Centre Pompidou fermera pour travaux. De l’intervention de l’artiste allemand dans l’espace de la Bibliothèque publique d’information (BPI), il restera, au-delà de ce qui aura été vu, ressenti et vécu sur place, un catalogue déjà collector et une anthologie intitulée Textes, couvrant plus d’une quarantaine d’années d’entretiens et d’écrits sur sa vision et ses usages de la photographie dont il a dynamité les conventions en matière de genre, de tirage et d’accrochage. La transformation des 6 000 m2 de la BPI en un espace d’exposition en est la quintessence. Car le choix de Tillmans d’investir la Bibliothèque du Centre Pompidou, et non les espaces des autres niveaux, renvoie non seulement au travail qu’il mène depuis ses premières créations avec l’imprimé, les livres et les magazines, mais aussi à son intérêt constant pour l’architecture, et à ce que représente une bibliothèque comme lieu social de savoirs et de culture, en particulier à une époque où la désinformation prolifère. Il n’en demeurait pas moins le défi de l’espace, seul et unique plateau du bâtiment conçu par Renzo Piano et Richard Rogers, que Tillmans a voulu garder tel quel sans construire de nouvelles cloisons afin de conserver l’esprit des lieux. Un défi relevé avec maestria qui fera date.

Aucun sens de visite ni chronologie ne prévalent dans ce vaste plateau transformé en une gigantesque scène de théâtre qui engage à une traversée libre tant dans l’univers et l’œuvre d’un artiste que dans l’histoire, l’architecture du Centre Pompidou et les fonctions de sa bibliothèque. L’un et l’autre vont de pair dans une grande harmonie et fluidité. L’intime, le collectif, l’Histoire, l’actualité et les réflexions autour de l’ontologie de la photographie et de la matérialité de l’image dialoguent et s’enchevêtrent. Des variations des tables et des rayonnages de la BPI structurent et définissent sobrement l’espace. Le mobilier déménagé reste visible par ses traces violettes laissées sur la moquette d’origine (voir ill.). Ces surfaces imprimées font écho aux surfaces chromatiques des grands tirages de la série Sylver ou Ligther, réalisés sans appareil photo. Les quelques étagères conservées et les nouveaux éléments – rayonnages ou tables conçus à l’emplacement exact de l’ancien mobilier – forment quant à eux des dispositifs d’exposition, soit pour une sélection de livres de la BPI ou d’objets et de documents divers de la collection de Tillmans, ou encore de présentation de tous ses livres publiés ou diverses parutions, collaborations avec des revues. Regroupées en amont du parcours, les Study Center – installations sur table qu’il crée depuis 2005, associant photographies, des coupures de presse et autres documents sur un sujet d’actualité (Brexit, conflit, politique internationale) – constituent autant de caisses de résonance notamment sur les engagements politiques et sociétaux de l’artiste tandis que des tables miroirs réfléchissent la structure du plafond du Centre Pompidou. La conservation de la salle de reprographie avec ses trois photocopieuses en état de marche que l’on peut utiliser renvoie de son côté aux expérimentations de Tillmans avec les premières photocopieuses laser et à ses images produites sur le Centre Pompidou et son bâtiment par l’artiste au cours de ces trois dernières années, les deux rangées de 60 alcôves métalliques de l’espace dédié à l’autoformation et plus de la moitié des écrans devenant le support de portraits et de séries de courtes vidéos qu’il a réalisées sur des usagers de la BPI.