Art moderne

1869-1930

Vingt-deux nuances de neige

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 22 avril 2024 - 762 mots

Autour de ce motif cher aux impressionnistes, un petit ensemble d’œuvres évoque les suiveurs de Monet en Auvergne ou dans les Alpes.

Claude Monet, La Pie, 1868-1869, huile sur toile, 89 × 130 cm, Paris, Musée d’Orsay. © RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Claude Monet, La Pie, 1868-1869, huile sur toile, 89 × 130 cm, Paris, Musée d’Orsay.
© RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Lorsque Christophe Leribault, alors président du Musée d’Orsay, a proposé aux musées en régions le prêt d’œuvres pour célébrer les 150 ans de l’impressionnisme, la directrice des musées de Clermont Auvergne Métropole s’est positionnée. Cécile Dupré projetait une exposition sur le thème très impressionniste de la neige, en raison de la présence dans ses collections d’œuvres d’Armand Guillaumin, l’un des participants à l’exposition de 1874 – qui a officiellement vu la naissance de l’impressionnisme –, et d’Albert Lebourg, qui a beaucoup séjourné à Pont-du-Château, une ville située sur l’Allier à l’est de Clermont-Ferrand. Ce dernier a peint La Neige à Pont-du-Château au cours de l’hiver 1885-1886, sujet cher au cœur des habitants du Massif central qui ressentent aujourd’hui douloureusement la disparition progressive du manteau blanc qui enveloppait autrefois les maisons à cette saison.

La commissaire a voulu une exposition de petite dimension, réunissant seulement vingt-deux tableaux (dont huit venus du Musée d’Orsay) et constituant « comme une bulle, un lieu d’apaisement et de contemplation ». Une attention particulière a été apportée au choix des musiques diffusées sur quatre bornes d’écoute et aux douces nuances de gris-bleu des murs. Mais il s’agit surtout de peinture et c’est une icône du Musée d’Orsay qui ouvre le propos : La Pie (1869, [voir ill.]) de Claude Monet dont le cartel précise que l’artiste y innovait avec une palette « extrêmement claire » : cinq ans avant l’exposition de 1874, « Monet réalise là un manifeste impressionniste qui est d’ailleurs refusé par le jury du Salon de 1869 ». Sur le mur adjacent est présentée La Neige (1873) de Charles Daubigny : « En 1870, Monet rencontre Charles Daubigny, son aîné de plus de vingt ans, et le convainc de s’essayer au paysage enneigé. Ce dernier propose alors au Salon de 1873 cette très grande toile qui fit scandale », indique le cartel qui cite un critique de l’époque : « La Neige de M. Daubigny est un morceau de plâtre étalé avec un couteau à palette. » Le public est amené à observer de près la technique de cette œuvre, comme il sera alerté, par la suite, sur l’usage que faisait Georgette Agutte du rugueux fibrociment ou sur le choix de Victor Charreton de décliner ses sujets en séries, à l’imitation de Monet. Les nombreux cartels (pratiquement un par tableau) et les textes introduisant aux différentes sections sont d’autant plus importants qu’aucun catalogue n’accompagne l’exposition.

Charles-François Daubigny (1817-1878), La Neige (1873),  huile sur toile, 100,5 x 201,5 cm, Paris, Musée d’Orsay - Photo Pellethepoet - PDM 1.0 DEED
Charles-François Daubigny (1817-1878), La Neige (1873), huile sur toile, 100,5 x 201,5 cm, Paris, Musée d’Orsay.
Le paysage urbain enneigé

Après les deux œuvres très fortes inaugurant le parcours est abordé le paysage urbain, cher aux impressionnistes et à leurs suiveurs. Aux sujets parisiens d’Albert Lebourg et Maximilien Luce répondent Vue du boulevard Desaix à Clermont-Ferrand (entre 1889 et 1896) de Jules Carot et Clermont-Ferrand l’hiver (après 1930) de Marie Jeanne Fournier. Cette dernière est présentée comme une amie de Charreton, peintre bien connu du public de la région. Dans le Puy-de-Dôme, il était l’âme d’un groupe d’artistes, l’école de Murol, et un espace muséal lui est consacré à Chamalières. C’est cependant par une œuvre du Musée d’Orsay, La Neige (entre 1884 et 1925), que débute la série de ses tableaux montrée ici. On trouve dans cette toile à la technique très libre, alternant empâtements et support apparent, le rose qui fait la célébrité de l’artiste distribué dans la neige et le sous-bois. À Murol, ce coloriste séduisant travaillait notamment avec le Polonais Vladimir de Terlikowski représenté ici par Neige à Murol (1912), bel exemple de la dissolution du motif qui est une tendance de l’époque particulièrement adaptée au paysage enneigé.

La dernière section ouvre la perspective sur d’autres peintres étrangers installés en France. John Peter Russell, un Australien qui a longtemps vécu à Belle-Île où il a rencontré Monet, a brossé Le Port de Goulphar sous la neige (entre 1886 et 1908), tandis qu’on peut voir l’influence de l’impressionnisme dans le traitement de la lumière chez le Finlandais Albert Edelfelt dont Journée de décembre (vers 1893), avec ses maisons nordiques de bois rouge, rappelle les paysages découverts en Norvège par Monet en 1895. Le texte d’introduction à l’exposition précise que le motif du « paysage enneigé sans anecdote » perdure « jusque dans les années 1930. À partir de 1920, le développement du tourisme hivernal transforme la neige en prétexte aux exploits sportifs et aux loisirs ». Le parcours s’achève majestueusement en haute montagne avec Les Aiguilles rouges et L’Aiguille verte en hiver (entre 1919 et 1922, [voir ill.]), deux des huit œuvres carrées de grand format dans lesquelles Georgette Agutte a représenté les Alpes.

Neige,
jusqu’au 30 juin, Musée d’art Roger-Quilliot, place Louis-Deteix, 63100 Clermont-Ferrand.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°631 du 12 avril 2024, avec le titre suivant : Vingt-deux nuances de neige

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