Art contemporain - Château

In situ

Versailles sens dessus dessous

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2015 - 711 mots

Dans les jardins, Anish Kapoor convoque l’espace du ciel et retourne les entrailles de la Terre, pour une manifestation qui apparaît au final en demi-teinte.

VERSAILLES - « Quel est le sens démocratique de ce lieu au XXIe siècle ? », s’est interrogé Anish Kapoor lors de l’ouverture de son exposition au château de Versailles. Le site royal conduit toujours, en effet, à questionner la représentation du pouvoir qu’il symbolise. L’artiste britannique d’origine indienne s’y emploie avec six œuvres et des bonheurs contrastés.

Relativement au pouvoir, plutôt bien vue a été la volonté de l’artiste – une première depuis que Versailles accueille de l’art contemporain – de ne pas circonscrire son projet aux limites du château mais d’aller investir, plus loin, la salle du Jeu de paume, où fut pris en 1789 le serment du même nom, prélude à la Révolution. Ce qui y est donné à voir l’est moins. Pointé vers l’un des angles de la salle, un canon a projeté vers les murs et le sol une grosse quantité de cire rouge sang, l’une des marques de fabrique de Kapoor. Mais Shooting Into the Corner (2008-2009) peine à convaincre. Plastiquement assez faible malgré son ampleur, l’installation s’appuie sur des arguments téléphonés, entre évocation de la chair à canon, allusions sexuelles moyennement assumées et clin d’œil timide à la peinture abstraite, même si l’on y devine un commentaire sur la violence de l’acte pictural.

La première œuvre que l’on découvre une fois franchies les grilles des jardins ne s’en sort guère mieux. Puisqu’il n’est de nos jours plus possible de visiter une exposition ou un site patrimonial sans immortaliser le moment par un selfie, les visiteurs sont en extase face à C-Curve (2007), une œuvre plantée sur la terrasse de la façade arrière du château et qui semble fait pour cela. Ce grand miroir semi-circulaire ne fait rien d’autre que de l’animation, avec d’un côté un reflet de la façade devenue courbe, et de l’autre jardins et visiteurs en pâmoison qui s’y réfléchissent à la fois à l’envers et à l’endroit.

Les choses deviennent un peu plus sérieuses, symboliquement tout au moins, avec le Sky Mirror (2013) installé quelques mètres plus loin, lorsque s’engage la perspective sur les jardins. Juché sur un haut support, un vaste miroir concave tourné à la fois vers le ciel et l’édifice renvoie de ce dernier une seule  ligne de crête à l’envers, privant ainsi de leur orientation des lieux rendus flottants et légers. Surtout, à toute heure y sont capturés le ciel et le soleil, qui semblent ne plus avoir d’échappatoire. Mais à l’arrière se remet en branle la machine à selfies, avec son lot de déformations dues à la nature facettée de la surface.

Un peu de désordre dans la perfection
La pièce maîtresse de l’ensemble, celle qui a déclenché de vaines polémiques et subi un acte de vandalisme, est ce Dirty Corner (2011-2015) installé dans l’allée centrale. Le gigantisme de la trompe en acier, à l’allusion sexuelle évidente, est parfaitement en accord avec l’échelle des lieux. La pièce semble s’enfoncer dans un terrain remué à ses abords, excavé comme pour souligner la nécessité d’un enfouissement vers le centre de la Terre auquel invite cette ouverture béante. L’usage de blocs de marbre rouge de Versailles est bienvenu lui aussi, qui inscrit plus encore l’œuvre dans le site et une réinvention possible. On retrouve là un Kapoor plus incisif, amateur d’aspérités qui viennent déranger et capter l’œil et la conscience. L’artiste amène une part d’ombre dans la lumière de Lenôtre, un peu de désordre dans la trop grande perfection ; par là, il pointe efficacement ce qui peut poser problème dans l’idée d’éternité, avec un « saccage » – somme toute relatif – qui incite à aller voir sous la surface trop lisse.

De même l’artiste introduit-il une certaine viscosité dans le bosquet de l’Étoile parfaitement ordonnancé, avec sa structure cubique percée d’orifices ostensiblement sexualisés. À l’intérieur, le visiteur semble pris dans des entrailles indéterminées mais assez fascinantes (Sectional Body Preparing for Monadic Singularity, 2015).

C’est lorsqu’il ose véritablement déranger les structures et les règles, et ce dans l’ensemble de son travail, que Kapoor est pertinent. Pas lorsqu’il flatte les masses avec un facile tape-à-l’œil.

KAPOOR

Commissaire : Alfred Pacquement
Nombre d’œuvres : 6

KAPOOR VERSAILLES

Jusqu’au 1er novembre, Jardins du château de Versailles, tél. 01 30 83 78 00, " class="lien_general" title="ouvre le site" target="_blank">www.chateauversailles.fr, tlj 8h-20h30, f8h-17h30 le samedi jusqu’au 19 septembre, fermé les 25 et 31 octobre et le 1er novembre ; bosquet de l’Étoile 10h-18h30, entrée libre sauf les mardis, samedis et dimanches, jours des Grandes Eaux musicales et des Jardins musicaux ; salle du Jeu de paume, rue du Jeu-de-Paume, 78000 Versailles, tlj sauf lundi 14h-18h, entrée libre. Catalogue, éd. RMN-Grand Palais, 144 p., 55 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Versailles sens dessus dessous

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