Rétrospective

Véronèse metteur en scène

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 6 mai 2014 - 744 mots

Pour le plus grand plaisir des yeux, et pour la première fois, Londres célèbre
l’inventivité de cet artiste de la grande République de Venise.

LONDRES - Paolo Veronese (1528-1588) n’a pas été reconnu à sa juste valeur par Giorgio Vasari, la référence incontournable sur les artistes de la Renaissance. Il n’a pas toujours été pris au sérieux par les historiens de l’art qui ont suivi. En Grande-Bretagne, curieusement, son sort n’est guère meilleur. En ouvrant cette somptueuse monographie, la National Gallery de Londres lui consacre sa première exposition dans le royaume, plus de quatre siècles après sa mort. À quelques exceptions près, les œuvres sont d’excellente qualité. Certaines n’ont jamais été vues en Angleterre. Le Mars et Vénus (1578) du Metropolitan Museum of Art n’avait pas quitté New York depuis plus d’un siècle. Ces emprunts complètent la collection propre du musée, qui comprend L’Adoration des rois mages, restaurée pour la circonstance.

Cinquante tableaux sont ainsi déroulés dans une juxtaposition chronologique, à laquelle a été refusée toute contextualisation : aucun texte ne figure au parcours. « Nous avons choisi d’écarter tout ce qui pouvait perturber la reconnaissance visuelle », assume le commissaire, Xavier F. Salomon, conservateur en chef de la collection Frick à New York. « Le point fort est le rapprochement de peintures que nous n’avons jamais vues ensemble », poursuit-il, en considérant que cette démarche aide à revoir des problèmes de chronologie irrésolus. Il faudrait aussi mentionner l’obsession pour la régulation de la foule des grands centres d’exposition, qui cherchent à éviter toute cause de ralentissement… Le plaisir partagé de l’histoire de l’art attendra le retour à la maison, avec le catalogue, heureusement très sérieux.

Il y avait de quoi raconter, pourtant. Paolo est né dans une famille de tailleurs de pierre à Vérone, cité tombée dans l’orbite de Venise qui lui donnera son nom d’artiste. Il a couru sur les marches de l’amphithéâtre romain. Son père lui inculqua les rudiments de la sculpture sur pierre, mais aussi du modelage de la terre cuite. Dès ses jeunes années, il s’est formé sous l’aile de l’architecte et urbaniste de la ville, Michele Sanmicheli. L’art de Véronèse se ressentira tout le long de cette présence de la sculpture et de l’architecture, auxquelles il donnera vie autour et dans ses compositions. Les saints peints dans des niches feintes pour l’église San Geminiano à Venise témoignent de son art consommé du trompe-l’oeil…

Faune musculeux
À 12 ans, Paolo fait ses débuts dans l’atelier classicisant d’Antonio Badile, auquel il restera fidèle. Âgé d’une vingtaine d’années, le jeune artiste ébauche son vocabulaire en une Conversion de Marie-Madeleine, dont la palette claire anime un groupe compact de personnages. À peine quelques années plus tard, il introduit un élément narratif dans L’Onction de David. Pour accompagner les géants de Giulio Romano dans la cathédrale de Mantoue, il concentre la violence de l’agression de saint Antoine assailli par un faune musculeux, assisté d’une beauté plantureuse au décolleté avantageux. Ses personnages se tournent et se retournent, il adore la richesse des brocarts. Véronèse devient metteur en scène. Il se fait aussi portraitiste. La National Gallery expose le double portrait d’un couple, révélant son talent dans la diffusion de la lumière. « Venise n’a alors jamais produit de portraits en pied comme ceux-ci », souligne Xavier Salomon. Cette maîtrise va nourrir l’inventivité du peintre, qui introduit dans les contes bibliques le visage de ses commanditaires, ravis de se retrouver en pareille compagnie, mais aussi la figure de ses proches ou de lui-même à l’occasion.

Véronèse possède un sens inné de la composition et un don inégalé de l’équilibre chromatique dans les demi-tons, en introduisant constamment des pointes fantasques, qui vont lui valoir des démêlés avec l’Inquisition. À Venise où il s’établit en milieu de siècle, il va pouvoir donner toute son ampleur à son art monumental, appuyé par des vues en contre-plongée et autres procédés scénographiques. Il gagne fortune et célébrité avec ce langage propre mêlant son héritage à la tradition locale. Bénéficiant de l’appui de Titien, il est appelé plusieurs fois à peindre le palais ducal. Gagnant la confiance des deux principaux architectes de la ville, il décore la bibliothèque Marciana, édifiée par Jacopo Sansovino sur la place Saint-Marc, ou encore la villa des Barbaro, œuvre d’Andrea Palladio à Maser, en Vénétie. Les couvents lui commandent de grandes cènes, dont il se fait une spécialité. Dommage que la démonstration se termine sur une note plus faible, de peintures de seconde catégorie sorties de son atelier au crépuscule de sa vie.

Véronèse, magnificence de la Renaissance Vénitienne, National Gallery, Trafalgar Square, Londres

Jusqu’au 15 juin, tél. 44 207 747 28 85
www.nationalgallery.org.uk
tlj 10h-18h, vendredi jusqu’à 21h. Catalogue, 20 £, env. 25 €.

Légende photo
Paolo Caliari dit Véronèse, Mars et Vénus, vers 1570-1575, huile sur toile, 205,7 x 161 cm, The Metropolitan Museum of Art, New York. © Photo : The Metropolitan Museum of Art/Art Resource/Scala Archives, Florence.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°413 du 9 mai 2014, avec le titre suivant : Véronèse metteur en scène

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque