Velázquez, Caravage, Rubens... trois génies parmi les autres

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 1 décembre 2006 - 747 mots

Considéré comme le plus grand peintre espagnol avec Goya et Le Greco, Velázquez s’est imprégné de l’œuvre de Caravage
et de Rubens avant d’influencer d’autres artistes comme Manet.

« Peintre des peintres. » C’est ainsi qu’Édouard Manet avait surnommé Diego de Silva y Velázquez (1599-1660), maître incontesté de la peinture du Siècle d’or espagnol. Si Velázquez est un artiste unique par la précocité de son génie, sa capacité de renouvellement et son incroyable maîtrise technique, il n’est toutefois pas resté imperméable à l’art des autres grands artistes de son siècle.

L’influence de Caravage sur ses premières toiles
Comme toute une génération de jeunes peintres de l’école sévillane, il est en effet marqué par le courant caravagesque qui déferle sur l’Europe. Ténébrisme, naturalisme du traitement des figures, thèmes iconographiques – comme les scènes de taverne, les musiciens ou les diseuses de bonne aventure – s’inspirent en effet de l’art de Caravage, mort brutalement en 1610.
Il faudra attendre le séjour en Italie de Velázquez pour que se produise un premier contact avec le travail du maître italien, et il ne fait pas de doute que le jeune Espagnol en ait eu connaissance par le biais de copies ou de gravures. En témoigne la grande toile intitulée Les Buveurs (vers 1629, non présentée dans l’exposition), peinte a priori avant son départ pour la péninsule italienne, mais dans laquelle son jeune Bacchus aux chairs blafardes et à la coiffure de pampres de vigne dénote une influence troublante des premiers tableaux romains du Caravage. Pourtant, si l’empreinte est réelle, le peintre espagnol prend déjà sa propre voie et révèle une attention plus fine aux détails ainsi qu’une capacité à traiter le réel sans idéalisation.

L’ami Pierre-Paul Rubens l’incite à éclaircir sa palette
Si Velázquez n’a pu avoir de lien direct avec Caravage, il a en revanche pu échanger avec Pierre-Paul Rubens (1577-1640), qui séjourne à la cour d’Espagne en 1628 dans le cadre d’une mission diplomatique. Les deux hommes, qu’une génération sépare, ont en commun leur fulgurante ascension sociale. Tous deux se lient d’amitié au cours des visites du palais de l’Escurial qu’organise Velázquez pour le maître flamand. Ce dernier l’incite alors à éclaircir sa palette grâce à l’utilisation de la technique des glacis – qui consiste à superposer de fines couches de couleurs pour éclaircir le fond –, et lui conseille de se rendre en Italie.
Plus tard, les portraits de la famille royale réalisés par Velázquez pour le rendez-vous de chasse de la Torre de la Parada cohabiteront avec les cent douze tableaux du cycle mythologique de Rubens, peints de 1637 à 1638 d’après les Métamorphoses d’Ovide. Si le style des deux peintres diffère sensiblement, tous deux partagent ce sens du traitement en raccourci, et surtout cette manière de traiter la forme en quelques coups de pinceaux. Cette technique impressionniste avant l’heure, qui impressionnera la jeune garde des peintres du xixe siècle comme Manet ou Whistler, est parfaitement illustrée par le Portrait en pied de Philippe IV en brun et argent (vers 1632), dans lequel les broderies du vêtement sont figurées par quelques arabesques de peinture blanche, qui prennent leur sens en étant vues de loin, comme l’exigeait un portrait royal.
Personnage cultivé – plus de cent-cinquante volumes ont été retrouvés dans sa bibliothèque après sa mort –, Velázquez n’ignore pas non plus le grand portraitiste italien qu’est Titien, dont il a pu admirer dans les collections royales les grandes images de Charles Quint.
S’il reste isolé parmi les peintres de la cour du fait de son intimité avec le roi, Velázquez rencontre José de Ribera (1591-1652) – l’autre grande figure de la peinture espagnole du xviie siècle – au cours d’un séjour à Naples. Le « Spagnoletto » – surnommé ainsi à cause de sa petite taille – fit en effet toute sa carrière en Italie, loin de l’Inquisition espagnole, et laissa une peinture qui évolua elle aussi du ténébrisme au luminisme et marqua profondément l’école espagnole.
Velázquez n’a pour sa part jamais organisé d’atelier, contrairement à Rubens. Son seul collaborateur connu n’est autre que son gendre, Juan Martinez del Mazo, un peintre qui n’eut jamais le talent ni la fortune critique de son maître.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Velázquez » du 18 octobre 2006 au 21 janvier 2007. The National Gallery, entrée Getty, Trafalgar Square, Londres. Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h, nocturnes les mercredis et les samedis. Tarifs : 18 € et 16 € environ. Tél. 00 44 870 906 38 91. www.nationalgallery.org.uk

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°586 du 1 décembre 2006, avec le titre suivant : Velázquez, Caravage, Rubens... trois génies parmi les autres

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