Vassivière

Une certaine conscience du paysage

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 juillet 2003 - 786 mots

Oui, le Centre national d’art et du paysage sort des sentiers battus. Il faut déjà le trouver, au milieu de son île, perdu dans des bois denses et sombres du Limousin.

À quelques encablures du célèbre plateau de Mille-Vaches, ce centre d’art cultive les paradoxes. À première vue, il comble le moindre désir néoromantique, voire « bobo », de nature. Suffisamment hostile, désertique tout en étant foisonnant, il représente le comble de « l’authentique » en quelque sorte. Mais cette image tient davantage du fantasme que de la réalité, et, sous l’impulsion de son nouveau directeur Guy Tortosa, le CNAP passe de « l’île de la tentation » à un petit Walden. Ni idyllique, sans être franchement cauchemardesque, Vassivière ne cache plus ses défauts, il les exploite. La végétation est luxuriante, normal au regard d’un taux d’hygrométrie assez exceptionnel, l’île de Vassivière ne se caractérisant pas par son climat particulièrement clément. Les forêts semblent impénétrables mais la nature a peu à voir avec cela. Il faut en effet plutôt chercher du côté de l’industrie sylvicole intensive qui a poussé à une monoculture déraisonnable.

Le lac est joli avec ses mille hectares. Pour cela, il faut remercier le barrage hydroélectrique dont la construction en 1949 plongea des hameaux et des histoires sous des eaux aujourd’hui réputées pour leur pureté. Carte postale de vacances pour certains, le lac est aussi une cicatrice pour les plus anciens. En exploitant ces nombreux « atouts », le centre d’art a effectué un virage à 180 degrés en 2001 avec la nomination du dynamique Guy Tortosa. Loin de s’intéresser aux jardins dans l’unique souci de coller aux tendances, né en terres corréziennes voisines, il a très vite trouvé sa cible. Le rurbain, cette fausse campagne, un paysage totalement contrôlé et créé par l’homme à travers lequel il faut aujourd’hui concevoir une nouvelle idée de la nature. Auparavant, Vassivière avait établi sa renommée grâce à un parc de sculptures rassemblant des œuvres en parfaite harmonie avec le paysage de l’île : David Nash, Andy Goldsworthy, Bernard Calet, Alain Kirili, Per Barclay, Michelangelo Pistoletto, Jean Clareboudt ont créé des pièces uniques, valorisant sans commune mesure le territoire. Ce parcours existe toujours mais il n’est plus au cœur des priorités de la nouvelle direction artistique. Parfaitement en phase avec une certaine éthique de la nature, celle-ci mise sur le développement durable en produisant une pièce d’Erik Samakh, Les Rêves de Tijuca (après la tempête). Sur une parcelle totalement dévastée par « le coup de vent » de l’hiver 1999 où les sapins, plantés trop mécaniquement, n’ont pas eu d’espace suffisant entre eux pour résister à un effet de mikado provoqué par le souffle de la tempête, Samakh a entrepris une restauration. Mais attention, il ne s’agit pas de reproduire les mêmes erreurs. Sur les deux mille cinq cents arbres plantés sans schéma préalable par les visiteurs du centre et des volontaires, on recense plus de cinquante espèces. La biodiversité, sujet et matériau des Rêves, amène à une autre conception de la nature, par son environnement. Le terrain prend des allures de mémorial aux arbres disparus, mais c’est aussi une nursery, avec ses jeunes plans encore trop fragiles pour être installés hors du petit enclos qui les protège. Le projet, passionnant par ses études, les volontés qu’il a pu mobiliser, offre une variation finalement esthétique sur le thème de l’installation. Une installation bien active qui donne non seulement rendez-vous à ses bienfaiteurs, jardiniers d’un jour, mais aussi à tous les visiteurs occasionnels, histoire de surveiller et d’encourager sa croissance. À terme, cette nouvelle forêt attirera d’autres insectes qui attireront à leur tour de nouveaux oiseaux. Ils se mettront à chanter, signalant par cette polyphonie, la renaissance d’une mixité végétale. C’est cela la nouvelle mission que s’est donnée Vassivière.

Travailler dans, avec et pour la nature dans une autre idée de la sculpture sociale. Joseph Beuys l’avait pensée dans les années 1980 à Kassel, pour la Documenta, en faisant planter des chênes par une chaîne de solidarité de sept mille donateurs. Il avait fallu cinq ans pour réaliser ce geste fort mais sans réel effet sur l’environnement et les mentalités. Aujourd’hui, la population des environs du lac s’est attachée au centre et suit ses évolutions, mais surtout l’Office national des forêts est devenu partenaire à part entière, tout comme le syndicat mixte de la commune. Tout le monde a à y gagner en cessant de s’inventer un territoire et en commençant à vivre enfin le paysage.

BEAUMONT-DU-LAC (87), Centre national d’art et du paysage de Vassivière-en-Limouson, île de Vassivière, à 60 kilomètres à l’est de Limoges, tél. 05 55 69 27 27. Les Rêves de Tijuca (après la tempête), l’œuvre d’Erik Samakh est exposée jusqu’au 5 octobre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : Vassivière

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