Van Eyck : les « frères jumeaux » sont à nouveau réunis

De nouvelles révélations sur les deux versions de Saint François

Le Journal des Arts

Le 10 octobre 1997 - 593 mots

La Galleria Sabauda, à Turin, et le Philadelphia Museum of Art réunissent, le temps d’une exposition, leurs versions respectives du Saint François recevant les stigmates de Van Eyck. Deux œuvres pratiquement identiques dont il est difficile de déterminer laquelle fut réalisée la première. De récentes analyses scientifiques fournissent toutefois des éléments inédits et viennent étayer de nouvelles hypothèses.

TURIN (de notre correspondant) - Depuis 1982, les deux Saint François recevant les stigmates de Van Eyck concentrent toutes les attentions au Phila­delphia Museum of Art et à la Galleria Sabauda de Turin. La réflexion qui agite les historiens de l’art se résume en une question : ont-ils tous deux été peints de la main même du maître flamand ? Seuls le support et le format permettent de différencier les deux tableaux : celui de ­Phila­delphie est quatre fois plus petit que celui de Turin et a été réalisé sur un parchemin. Mais le rendu du sujet ainsi que la qualité de l’exécution font des deux Saint François des œuvres parfaitement identiques. Un œil averti perçoit toutefois d’infimes variations, par exemple une différence de teinte dans le froc du saint, brun dans un tableau, gris dans l’autre. Étant donné la qualité du style, les spécialistes s’accordent à penser que si l’une des œuvres est une copie, il s’agit d’une réplique réalisée par l’atelier de Van Eyck. Les documents historiques n’aident guère à résoudre ce nœud gordien. On a trace des deux Saint François en 1470 : ils figurent dans le testament d’Anselme Adornes, un Gênois résidant à Bruges qui, avant de partir pour la Terre Sainte, les a légués à ses deux filles, toutes deux religieuses. Adornes n’en est probablement pas le commanditaire, puisqu’il n’avait que 16 ans à la mort de Van Eyck, en 1441. Une carence d’informations de 300 ans nous entraîne ensuite à la fin du XIXe siècle, où l’on retrouve les deux peintures dans l’histoire des collections. La Sabauda a acquis sa version en 1866.

Le musée de Philadelphie tient la sienne de J.G. Johnson, qui l’avait lui-même achetée sur le marché londonnien aux héritiers de Lord Heytesbury. Une série d’analyses effectuées sur les œuvres à l’occasion d’une récente restauration éclaire davantage le problème. Radiographie, réflectographie et dendrochronologie ont fourni de nouveaux résultats, réunis dans un volume du Philadelphia Museum of Art (Jan van Eyck’s two paintings of Saint Francis receiving the Stigmata). Ces examens scientifiques sont décrits, dans l’exposition, à travers une série de panneaux didactiques. L’analyse dendrochronologique menée par Peter Klein a démontré que les supports en bois des tableaux sont antérieurs à la mort de Van Eyck, ce qui confirme l’authenticité des œuvres. Les résultats les plus décisifs ont toutefois été apportés par les analyses réflectographiques de J.R.J. van Asperen de Boer : contrai­rement à la version de Phila­de­lphie, celle de Turin a révélé, sous la peinture, un dessin préparatoire comparable aux croquis du maître, dont le trait est d’ailleurs très proche de celui identifié sur le polyptyque de L’Ado­ration de l’Agneau mystique  attribué à Van Eyck (église de Saint-Bavon, à Gand). Ces études vont évidemment se poursuivre. Mais à ce stade des recherches, on peut affirmer que le Saint Fran­çois de Turin a bel et bien été exécuté par le maître lui-même.

VAN EYCK CONFRONTÉ À VAN EYCK, jusqu’au 14 décembre, Galleria Sabauda, via Accademia delle Scienze 6, 10123 Turin, tlj sf lundi 9h-14h, jeudi 13h-19h, tél. 39 11 54 74 40. Puis, National Gallery, Londres, 15 janvier-15 mars 1998 ; Philadelphia Museum of Art, 4 avril-31 mai. Le catalogue des trois expositions est édité par Allemandi.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°45 du 10 octobre 1997, avec le titre suivant : Van Eyck : les « frères jumeaux » sont à nouveau réunis

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