Second degré

Ut bande dessinée poesis

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 18 janvier 2011 - 522 mots

Adepte du détournement et de l’appropriation, la bande dessinée dévoile ses profondeurs critiques à Angoulême.

ANGOULÊME - Détournement et appropriation sont identifiés comme les principes de la création à l’ère postmoderne – quand créer c’est toujours recréer. Mais cette pratique du second degré semble avoir toujours existé dans la bande dessinée. Thierry Groensteen propose une relecture de l’histoire du 9e art par son prisme, dans l’exposition « Parodie » à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême (Charente). Le commissaire y dessine un parcours didactique en reprenant les articulations d’un essai théorique rédigé en amont de la manifestation. Mais la rigueur de l’historien, qui dresse ici une typologie des usages de la parodie, n’entamera pas l’humeur de cette visite placée sous le patronage de grandes figures de la bande dessinée humoristique, tels que l’Américain Harvey Kurtzman (fondateur de la revue Mad) ou le Français Gotlib. Medium de la contre-culture par excellence, la bande dessinée serait le support désigné pour une critique des autres productions culturelles. Elle est impitoyable avec les beaux-arts, la littérature, le cinéma, la télévision et surtout la bande dessinée elle-même – medium également privilégié de la culture de masse et d’une société bien-pensante. Mais c’est la peinture que l’exposition désigne en premier lieu comme cible de la parodie, en suggérant l’héritage des « salons caricaturaux » publiés dans les revues satiriques au Second Empire. Plus tard, Bart Simpson surfe sur la vague d’Hokusai, et le Chat de Geluck se fait portraiturer en Mona Lisa. Ces clins d’œil répétés affirment la posture désinvolte du vilain petit canard de l’art tout en revendiquant son lien de parenté. Un lien évident dans le geste iconoclaste, érigeant Marcel Duchamp (qui commit son LHOOQ en 1919) en père spirituel. L’avant-garde, qui a voulu mettre à plat la hiérarchie entre les arts, s’est naturellement rapprochée de la bande dessinée. En témoignent ici les détournements situationnistes qui substituent aux bulles un message révolutionnaire. Incontestablement, la bande dessinée prend part au grand mixage des références dans lequel s’est imaginée une nouvelle ère de création par recréation, et ce sans s’obliger à l’irrévérence ni au burlesque. C’est ce que montre l’exposition avec des planches remarquables pour leur esthétique et leur pratique de la transposition comme la série Les Débutants célèbres de la BD de Jean Ache, parue dans le journal Pilote en 1973. Le conte du Petit Chaperon rouge y est raconté avec les codes de la narration séquentielle, mais à la manière de Picasso, Bernard Buffet ou Mondrian, en retournant malicieusement la hiérarchie des genres. Aussi fascinante est la synthèse des grandes œuvres littéraires par les membres de l’Oubapo (Ouvroir de bande dessinée potentielle). La version de La Recherche en une page, sans texte ni personnages par François Ayroles, est un coup de maître.

PARODIE. LA BANDE DESSINÉE AU SECOND DEGRÉ

Jusqu’au 24 avril, Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, 121, rue de Bordeaux, 16023 Angoulême, tél. 05 45 38 65 65, www.citebd.org, du mardi au vendredi 10h-18h, samedi et dimanche 14h-18h, fermeture à 20h pendant le festival de la bande dessinée. Catalogue, éd. Skira/Flammarion, ISBN 978-2-0812-4566-2, 236 p., 32 euros

PARODIE

Commissaire de l’exposition : Thierry Groensteen

Nombre d’œuvres : environ 230

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°339 du 21 janvier 2011, avec le titre suivant : Ut bande dessinée poesis

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque