Paris-4e

Une histoire pas comme les autres

Centre Georges Pompidou, jusqu'au 7 mars 2016

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 18 novembre 2014 - 582 mots

Le Musée national d’art moderne, à chaque renouvellement des accrochages de sa collection, a pris le parti de se mettre en danger avec des propositions autres qu’un simple fil chronologique ou thématique.

Dans cette optique, alors que « Modernités plurielles » un étage au-dessus achève bientôt son mandat, « Une histoire » amorce le sien. Deux belles réussites qu’il convient de souligner. Mais là où Catherine Grenier axait son propos sur le rôle que jouent les institutions muséales dans l’écriture et la reconsidération de l’histoire de l’art de la modernité du XXe siècle, à grand renfort de théories postcoloniales et de multiculturalisme, Christine Macel s’en remet aux artistes, des années 1980 à nos jours. Des artistes qu’elle voit en historiens, en archivistes, en documentaristes, en performeurs, en narrateurs, en producteurs aussi. Quelque quatre cents œuvres sont ainsi convoquées pour dresser le portrait de trois décennies qui ont vu se confirmer l’obsolescence d’une histoire de l’art par mouvements et par l’application arbitraire d’« ismes ». Cette courte période a vu le monde se réorganiser après l’éclatement du bloc de l’Est et la chute du mur de Berlin, se déchirer autour des guerres de Yougoslavie et du Golfe, du génocide du Rwanda, et, bien sûr, les attentats télévisuels du 11 Septembre 2001. Curieusement, dans sa contextualisation sociopolitique, Christine Macel n’a pas recensé Tchernobyl et la crise écologique, qui ne laissent pourtant pas les artistes insensibles. La présentation passe donc sous silence ce point, ce qui est l’un des seuls bémols qu’on puisse apposer à cette partition réussie, qui métabolise avec brio l’impossibilité de résumer l’art globalisé de nos dernières décennies à partir d’une collection forcément imparfaite. Celle-ci montre un visage plutôt inspiré : vidéos marquantes de Nguyen-Hatsushiba (une séance de peinture sous-marine épique), d’Allora et Calzadilla ou de Sebastián Díaz Morales, qu’il fait bon revoir après l’opus historique et politique d’Isaac Julien (Territories, 1984). Macel représente même une installation phare de son exposition polémique de 2005, Dionysiac, l’atelier clandestin tonitruant de Malachi Farrell, O’ Black. L’accrochage revient d’ailleurs à plusieurs moments sur des expositions marquantes de ces décennies comme « Traffic » en 1996, montée par Nicolas Bourriaud au CAPC de Bordeaux avec les principaux artistes rassemblés sous son esthétique relationnelle. L’exposition des « Magiciens de la terre » qui vient d’être célébrée au Centre Pompidou aurait d’ailleurs mérité d’intégrer les salles permanentes tant elle a aussi marqué les esprits.

En revanche, la conservatrice n’a pas oublié de démontrer combien le musée s’est ouvert à d’autres scènes et événements que les nôtres. Elle a ainsi fait la part belle à des artistes libanais, de Walid Raad au tandem Joreige et Hadjithomas. Une imposante salle au milieu du parcours saccadé et tout en ensembles pertinents se focalise notamment sur une grande maquette de 18 m2 d’un parc de Casablanca réalisée par Hassan Darsi. L’artiste marocain a modélisé l’état actuel de cet aménagement paysager élaboré entre 1917 et 1927 qui n’a plus rien à voir avec le projet originel de poumon vert. Christine Macel a su célébrer ce passé proche, cette tendance à l’archéologie du contemporain qu’adoptent les artistes de ces dernières décennies et dont l’appétit excède les arts visuels pour toucher à la musique, au son, jusqu’à l’architecture. Les artistes ont déployé une acuité qui amène le spectateur à être plus qu’un simple témoin. C’est ce que nous raconte cette histoire, assumée dans sa condition parcellaire, plus ouverte que celle, ultra personnelle, de « La décennie » au Centre Pompidou-Metz portant sur les années 1990.

« Une histoire. Art, architecture, design des années 1980 à nos jours »

Centre Pompidou, Paris-4e, www.centrepompidou.fr 

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°674 du 1 décembre 2014, avec le titre suivant : Une histoire pas comme les autres

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