Un tour des galeries (I)

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 1996 - 1800 mots

PARIS : CITOYENS DU MONDE

Louise Nevelson est née à Kiev en 1899, mais a fait la carrière que l’on sait aux États-Unis, où elle est considérée comme l’un des plus importants sculpteurs de sa génération. Elle est morte en 1988. La galerie Marwan Hoss (12, rue d’Alger, 42 96 37 96) lui rend hommage, du 25 septembre au 16 novembre, avec un choix d’œuvres  opéré conjointement avec la succession Nevelson et la Pace Wildenstein Gallery de New York. On découvrira des pièces peu connues : sculptures en bois ou en métal, collages et dessins anciens. Léon Golub est, quant à lui, un cas unique dans l’art contemporain : sa peinture se confond avec son combat politique. Né à Chicago en 1922, il n’a cessé de militer depuis le début des années soixante, affrontant les sujets les plus violents et les plus graves (la guerre du Vietnam, les luttes raciales, le Chili de Pinochet…) sans jamais se laisser intimider. Si l’on peut craindre le plus souvent que l’art n’y soit sacrifié, ce n’est pas le cas avec lui, comme on pourra s’en rendre compte à la galerie Darthea Speyer (6, rue Jacques-Callot, 43 54 78 41), qui présente ses derniers tableaux du 19 septembre au 2 novembre. À sa façon, Alighiero e Boetti était lui aussi un citoyen du monde, mais on ne trouve pas dans ses travaux la hargne militante de Golub. Associé à l’Art pauvre, artiste éminemment critique, il occupe une place centrale dans les problématiques contemporaines. Disparu en 1994, il a laissé derrière lui une œuvre importante qui fera l’objet d’une rétrospective au Musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq cet automne. La galerie Krief (50, rue Mazarine, 43 29 32 37) propose, du 19 septembre au 9 novembre, une sélection d’œuvres datées de 1974 à 1993, où transparaît son intérêt pour les motifs de la dualité, de l’ordre et du désordre.

Autre joueur, à la française, Jean Le Gac a bâti son œuvre sur la fiction du peintre, dont il explore sans relâche les attributs et les fonctions. Son travail, qui associe différents médias (dessin, photo, vidéo), se tient à égale distance du réel et de l’imaginaire, de la nostalgie et de l’humour. La galerie Daniel Templon (30, rue Beau­bourg, 42 72 14 10) expose ses dernières séries du 7 septembre au 8 octobre. Les états d’âme concernant la possibilité même de faire de la peinture sont évidemment datés. Anselm Kiefer les ignore et produit une peinture héroïque, facilement monumentale, nourrie de mythes germains et d’histoire contemporaine. La galerie Yvon Lambert (108, rue Vieille-du-Temple, 42 71 09 33), qui montre ses œuvres depuis plusieurs années, le présente à nouveau du 14 septembre à fin octobre. La galerie publie à cette occasion un catalogue avec un texte de Daniel Arasse.

Fucking flowers
Beaucoup plus jeune que Kiefer, Yan Pei-Ming, Chinois de Paris, peint dans un style qui rappelle souvent d’autres prestigieux aînés. Sa dernière exposition à la galerie Durand-Dessert (28, rue de Lappe, 48 06 92 23), du 7 septembre au 19 octobre, est dédiée toute entière aux portraits d’un inconnu qui n’est autre que son père. Thomas Schütte, lui aussi, s’intéresse de près à la figure humaine, mais sans le moindre esprit de sérieux. On se souvient de ses figures en cire, aussi grotesques que nostalgiques, qui n’é­taient pas sans évoquer Dau­mier. Multi­pliant les thèmes et les moyens de les traduire, Schütte est sans doute l’un des artistes al­le­mands les plus singuliers de sa génération. La galerie Nelson (40, rue Quin­cam­poix, 42 71 74 56) pré­sen­te, du 20 septembre au 26 oc­tobre, une expo­­sition intitulée "Fucking flowers".

Trois peintres, si différents les uns des autres, feront encore l’objet d’expositions personnelles pour cette rentrée. Joan Hernadez Pijuan, né en 1931 à Barcelone, a évolué d’une sorte de peinture gestuelle à un ordonnancement plus géométrique des figures (galerie Renos Xippas, 108, rue Vieille-du-Temple, 40 27 07 16, du 14 septembre au 19 octobre). Carole Benzaken se distingue par l’attention qu’elle porte aux objets les plus simples (galerie Nathalie Obadia, 5, rue du Grenier-Saint-Lazare, 42 74 67 68, du 7 septembre au 16 octobre). C’est à l’enseigne de "Télévision" que l’on découvrira les dernières peintures de Philippe Hurteau à la galerie Zürcher (56, rue Chapon, 42 72 82 20) du 7 septembre au 12 octobre. Mention­nons encore deux expositions, situées à chacune des extrémités du spectre de l’art contemporain, celle de Vladimir Skoda à la galerie Montenay Giroux (31, rue Mazarine, 43 54 85 30) du 19 septembre au 26 octobre, et celle de Serge Comte à la galerie Jousse Seguin (34, rue de Charonne, 47 00 32 35) du 14 septembre au 2 novembre.


RHÔNE-ALPES : DU NOUVEAU

À Grenoble, les nombreuses institutions – Cnac, Musée de Grenoble et école d’art – laissent une place réduite mais active à quelques galeries. Antoine de Galbert propose une programmation éclectique dans un bel espace rue Voltaire. Il montre en septembre Robert Malaval et Guillaume Treppoz, deux artistes rhône-alpins. Dans la même rue, la galerie Cupillard lie habilement bijoux d’artistes et art contemporain. On pourra y voir à la rentrée une exposition d’œuvres réalisées par des artistes inuits. Le Bateau-Lavoir, rue Bayard, présente essentiellement des dessins contemporains à des prix allant de 1 500 à 5 000 francs, dans une atmosphère chaleureuse (Jean-Baptiste Sé­cheret, à partir du 19 septembre). Ouverte voilà bientôt deux ans, la Nouvelle Galerie, rue Génissieu, est davantage tournée vers l’institution que ses consœurs. Elle soutient en priorité de très jeunes artistes juste sortis des écoles d’art, comme Burkard Blümlein en octobre.

À Lyon
Geneviève Mathieu, qui a tenu une galerie pendant plus de 18 ans à Besançon, revient en force dans sa ville natale : elle s’installe dans un ancien atelier industriel au pied de la Croix-Rousse. Outre 200 m2 d’espace d’exposition, la galerie devrait bientôt disposer d’un atelier d’artiste, d’un jardin intérieur et de réserves. Pour marquer l’événement, Geneviève Mathieu a demandé au plasticien Georges Rousse deux pièces originales, réalisées avant les travaux. Un choix étonnant de la part d’une galeriste qui défend, selon ses propres termes, des "abstraits poétiques" comme Aurélie Nemours, François Morellet ou encore Vladimir Skoda (Galerie Mathieu, 48 rue Burdeau, 78 39 72 19)

Olivier Houg, qui disposait d’un modeste espace de 30 m2 dans le centre commerçant de Lyon, a déniché un magnifique rez-de-jardin de plus de 300 m2 à deux pas de la prestigieuse rue Auguste-Comte. Il a su profiter de l’écroulement du marché immobilier : pour 700 000 francs d’investissement, achat du fonds compris, il s’offre une excellente adresse. Olivier Houg assure la rentabilité de son lieu par le courtage d’abstraits des années cinquante et d’artistes modernes. Une politique qui lui permet de montrer de jeunes artistes vivant en Rhône-Alpes, tels qu’Olivier Chabanis ou Hilary Dymond, et de se lancer à la redécouverte des artistes du groupe Témoignage, comme ce mois-ci avec Paul Regny, un des premiers abstraits lyonnais (Galerie Olivier Houg, 13 rue Jarente, 78 42 98 50).

Un espace pour le design : la galerie Roger Tator ouvre ses portes à Lyon. Ses promoteurs, Laurent Lucas et Eric Deboos, fraîchement émoulus du post-diplôme Design de l’École d’art de Lyon, installent simultanément une agence et un espace d’exposition. Lieu de vente mais aussi de pédagogie, les objets exposés sont parfois montrés à l’état d’ébauche pour permettre de suivre leur invention. On peut voir jusqu’au 6 septembre les pimpants accessoires quotidiens de "Cham et Loza", la marque des designers Jacques Chambon et Juan Lozano, avant de s’interroger sur la fonction des curieuses lettres en bois tourné d’Olivier Bouton (Galerie Roger Tator, 36 rue d’Anvers, 78 58 83 12).

BELGIQUE : ÉSOTÉRISME

Chez Quadri, deux expositions se succéderont durant le mois. Jusqu’au 7 septembre, Michel Tunus déploie dans des couleurs vives et un geste enlevé un monde de visages qui sont autant d’interrogations. Le peintre a délaissé les paysages intérieurs aux confins de l’abstraction pour donner un sens humain à l’universel. Les figures, souvent sombres et inquiètes, dialoguent avec un espace construit et lumineux. À partir du 11 septembre, Michèle Grosjean mettra en scène son Hermes Alechimica. Aux questions existentielles répond le labyrinthe des formes symboliques, qui témoignent chez l’artiste d’un même désir de comprendre l’univers et les hommes qui le composent. À l’instar de l’alchimie, la peinture marie la connaissance et le mystère dans une unité révélée : l’image. C’est cet espace que Michèle Grosjean explore avec une maîtrise et une finesse pleines de sagesse (49, rue Tenbosch, 1050 Bruxelles).

Fantaisie baroque
Dans ses nouveaux locaux, plus petits, Projection & ADA poursuit sa politique tournée vers les jeunes créateurs de mobilier. Jusqu’au 15 septembre, les armoires et les sièges d’Yves Pagart jettent un brin de fantaisie baroque dans l’univers de la galerie. Un travail de qualité, aux matériaux choisis et aux formes naturelles et aériennes. La ligne se veut dynamique et la référence à l’oiseau permanente. Des meubles-oiseaux pour décoller du quotidien (96-98, avenue Brugmann, 1190 Bru­xelles).

Chez Artiscope, jusqu’au 27 septembre, Fontana, Warhol, Paladino, Pomodoro et Ontani ont transposé dans l’or leur univers personnel. Le visiteur pourra se demander, à l’instar de Broodthaers, si les pièces exposées valent pour elles-mêmes, pour l’or qui les compose ou pour une hypothétique addition des deux. L’investissement en vaudrait la chandelle. Pour ceux qui n’y croient pas, il reste toujours les manteaux cérémoniels albanais exposés en parallèle (35, boulevard Saint-Michel, 1040 Bruxelles).

Avant de présenter Alquin à la Fiac, Fred Lanzenberg propose tout au long du mois de septembre une sélection d’artistes chers à sa galerie, Cabalero, Dodeigne, Mitsushi, Alquin et Serrou, réunis autour d’une même passion : le dessin (9, avenue des Klauwaerts, 1050 Bruxelles).

Chez d’Huysser, une sélection d’œuvres récentes du Coréen Lee Bae est présentée du 12 septembre au 6 octobre. Le travail prend une signification alchimique : du charbon de bois, fixé sur la toile avec de la résine et poncé, fait de chaque œuvre une muraille de fusain aux profondeurs multiples. Le blanc dégage de la masse des figures monumentales, tels de lourds et puissants fossiles. La lumière sculpte les volumes et donne sa vitalité aux êtres qui habitent ce paradis blanc. Le spectateur caresse la surface du regard en suivant les silhouettes jaillies d’une nuit d’encre. Avec ces grands formats, Bae livre une œuvre poétique et philosophique d’une rare intensité (Place du Sablon,1000 Bruxelles).

Enfin, saluons une initiative intéressante à Saint-Hubert : L’Art en campagne, qui regroupe galeries et institutions pour sortir la création contemporaine de ses lieux traditionnels. Du 11 au 22 septembre, se tiendra une série de manifestations, dont une exposition de sculpture monumentale en plein air, une exposition historique retraçant dans ses grandes lignes l’évolution de la création depuis les années soixante et une foire d’art contemporain regroupant une large sélection de galeries européennes. L’occasion de découvrir un parcours historique à l’unisson d’un marché de l’art qui se met au vert.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°28 du 1 septembre 1996, avec le titre suivant : Un tour des galeries (I)

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