Un « Tableau » pittoresque

Carnavalet nous plonge dans le Paris du XVIIIe siècle

Le Journal des Arts

Le 19 mars 1999 - 523 mots

En s’appuyant sur le Tableau de Paris de l’écrivain Louis Sébastien Mercier, le Musée Carnavalet propose une fresque vivante et variée des rues de la capitale à la veille de la Révolution. Une scénographie habile, rapprochant textes, objets archéologiques, peintures, gravures, enseignes et pièces d’archives, permet de découvrir de nombreux aspects de la vie quotidienne au XVIIIe siècle.

PARIS - Devant une galerie de tableaux, un porteur d’eau, deux marchandes de poissons et une mendiante démarchent les passants. Au fond, un homme urine contre un mur, sous le regard moqueur de deux femmes. Au-dessus de lui, quelqu’un verse de l’eau depuis sa fenêtre pour nettoyer. Un peintre d’enseigne perché sur une échelle, un colporteur à l’allure louche et des chiens faméliques complètent ce ballet plein de verve, dû au pinceau d’Étienne Jeaurat. La scène rassemble, de manière visiblement “arrangée”, les principaux ingrédients de la vie parisienne au XVIIIe siècle tels qu’on les retrouve dans l’ouvrage de Louis Sébastien Mercier.

Cet écrivain atypique, dont le CNRS vient d’achever l’édition critique, offre un regard très personnel sur sa ville, loin des traditionnels guides de voyageurs. Sous la forme d’une succession de saynètes observées et décrites avec esprit, son Tableau de Paris se révèle en fait une réflexion sur la société et ses dysfonctionnements, dans la lignée des Lumières. Élisabeth Bourguinat, spécialiste en littérature du XVIIIe siècle et l’un des commissaires de l’exposition, a su à la fois dégager le véritable propos de l’écrivain, en regroupant ses observations par thèmes, et retrouver son style et son ton enjoué.

Quand le quotidien devient l’exception
Plutôt qu’une reconstitution ou une évocation des rues de Paris, elle a opté pour des séquences, rappelant la structure du livre de Mercier. Le cadre urbain, les problèmes de mœurs, les différents métiers de la rue et les fêtes donnent lieu à une série de rapprochements de sources écrites, archéologiques et iconographiques. Certaines confrontations sont espiègles – une scène anonyme de bataille entre porteuses d’eau illustre ainsi un passage de Mercier sur la politesse de cette catégorie professionnelle –, d’autres sont réellement éclairantes et émouvantes, telle la section sur les abandons d’enfants.

Si certaines des œuvres exposées sont habituellement peu montrées, comme le tableau d’Étienne Jeaurat prêté par un collectionneur privé, ou deux vues de la Seine par Lespinasse, la principale originalité du parcours réside dans la présence d’objets de la vie quotidienne. Souliers de femme ressemelés plusieurs fois, fontaine ambulante de marchand de coco, outils de cantonnier, pots à onguent ou brosse à dents en os, ces objets sont devenus très rares en raison de leur caractère modeste et ordinaire. Pour la période concernée, les archéologues ne s’y intéressent que depuis une ou deux décennies, comme en témoigne une série importante issue des fouilles du Carrousel.
Des chansons vendues à la feuille aux mises en garde contre les “détrousseuses d’enfants”, cette exposition fait joliment revivre le petit peuple de Paris sous l’Ancien Régime.

LES RUES DE PARIS AU XVIIIe SIÈCLE, LE REGARD DE LOUIS SÉBASTIEN MERCIER

Jusqu’au 20 juin, Musée Carnavalet, 23 rue de Sévigné, 75003 Paris, tél. 01 42 72 21 13, tlj sauf lundi 10h-17h40. Catalogue 80 p., 50 ill., 100 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°79 du 19 mars 1999, avec le titre suivant : Un « Tableau » pittoresque

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