Un siècle africain

Une histoire moderne selon Enwezor

Le Journal des Arts

Le 8 juin 2001 - 723 mots

Exposition la plus ambitieuse jamais organisée sur l’art moderne africain, « Un siècle court » réunit à Berlin – avant Chicago et New York – plus de soixante artistes sous la bannière du continent noir. Mené par le commissaire de la prochaine Documenta de Cassel, Okwui Enwezor, la manifestation s’attache à rendre compte d’une création internationale et pluridisciplinaire amorcée après la Seconde Guerre mondiale.

BERLIN (de notre correspondant) - L’exposition donne une vue d’ensemble sur les dernières décennies de la production artistique et culturelle du continent noir. Le rêve d’Okwui Enwezor a mis sept ans à se réaliser, mais “Un siècle court. Mouvements de libération et d’indépendance en Afrique (1945-1994)” a finalement vu le jour, et ce malgré l’emploi du temps surchargé du critique et directeur artistique de la Documenta XI de Cassel (lire le JdA n° 119, 19 février 2001). Par son titre, l’exposition affiche un angle de lecture clair : elle traite du XXe siècle africain, celui qui s’ouvre avec l’avènement du processus de décolonisation et s’achève en 1994 avec l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud, ultime résidu d’une culture coloniale empreinte du XIXe siècle. Traiter de l’art de cette période revenait pour Okwui Enwezor à écrire “une biographie critique de l’Afrique” en sortant des lieux communs pour considérer l’expérience de la renaissance culturelle post-coloniale. Pareille volonté explique le caractère interdisciplinaire de la manifestation qui embrasse peintures, sculptures, photographies, vidéos, installations, arts graphiques, arts appliqués, avec le même intérêt et présente également divers documents historiques, œuvres musicales, textes littéraires, productions théâtrales ou projets d’architecture. En même temps, le catalogue alterne les analyses historiques et socio-politiques, les essais sur l’histoire de l’art, les recherches sur les mouvements de libération et ses héros (Patrice Lumumba, Nelson Mandela...), ainsi que des études sur le “kitsch révolutionnaire” ou les rapports entre musique ethnique et pop. L’analyse porte également sur le rôle des artistes, des écrivains et des intellectuels dans le processus de modernisation et d’émergence de l’identité de leur continent. Ce phénomène, complexe, de prise de conscience passe par un dialogue constant avec les avant-gardes européennes et les mouvements occidentaux pour les droits civiques. Dans cette nébuleuse militante gravitent Breton, Picasso, Sartre, Camus, les idéologies tiers-mondistes en général, et les voyages de la diaspora africaine. En observant le parcours de la soixantaine d’artistes montrés ici, apparaissent clairement la force des échanges avec les ex-colonisateurs et le renversement des instances qui connotaient auparavant leurs rapports. Nombreux sont ceux qui ont fait leurs classes en Europe et presque tous ont exposé en Occident. C’est sur cette dichotomie que se développe “l’africanité” moderne, son unité culturelle et la complexité des mouvements d’où elle s’épanouit.

L’Afrique d’Enwezor se montre alors comme un laboratoire d’instances et d’idées dont l’histoire de l’art ne pourra plus faire abstraction. Kwame Nkrumah, fondateur du panafricanisme et premier président du Ghana indépendant, affirmait que le XXe siècle serait sous le signe de l’Afrique. Qu’il s’agisse du Sud-Africain Ernest Mancoba, participant du groupe Cobra, du peintre éthiopien Gebre Kristos Desta, formé à l’Académie des beaux-arts de Cologne, ou des Mozambicains Malangatana Ngwenya et Thomas Mukarobgwa dont les travaux font aujourd’hui partie des collections du MoMA, cette place prédominante est désormais à chercher au bout de nombreuses ramifications. Le Sénégalais Iba Ndiayé s’est ainsi rendu dans les années 1950 à Paris pour étudier l’architecture, se liant étroitement au groupe de la Ruche. Gaziba Sirry, après un séjour à Paris et à Londres, est, lui, retourné au Caire où il a fondé le groupe d’Art Moderne, première avant-garde égyptienne. William Kentridge et Gavin Jantjes se sont quant à eux engagés, parallèlement à leur activité artistique, dans les batailles anti-ségrégationnistes de leur Afrique du Sud natale. Leur compatriote, Moshekwa Langa, étudie, avec son cycle New Visual Atlas, la répartition géographique de l’Afrique coloniale, à l’image d’une possible biographie du continent. Quant au chapitre consacré à la nouvelle ville africaine, avec la présentation de projets d’urbanisme et de maquettes d’architecture, il fournira une topographie plus rapprochée du contexte contemporain. Ce sont ces villes, entre gratte-ciel et bidonvilles, entre utopie et misère, qui constituent le contexte environnemental d’où germent des pratiques artistiques en dialogue avec la réalité des métropoles occidentales.

- Un siÈcle court. LES MOUVEMENTS DE libÉration et d’indÉpendance en Afrique (1945-1994), jusqu’au 29 juillet, Martin-Gropius-Bau, Niederkirschnerstrasse 7, Berlin, tél. 49 30 254 860, tlj sauf lundi 10h-20h, www.theshortcentury.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°129 du 8 juin 2001, avec le titre suivant : Un siècle africain

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