Un Petit Palais pour un Grand Empire

Paris offre une réunion sans précédent d’objets chinois issus de fouilles récentes

Le Journal des Arts

Le 1 décembre 2000 - 912 mots

L’exposition « Chine, la gloire des empereurs » fait écho à celle présentée en 1973 dans le même lieu. La République populaire présente aujourd’hui les découvertes archéologiques de ces vingt-sept dernières années, et un bilan des apports sur la connaissance de cette civilisation ancienne : remise en cause de la chronologie concernant l’entrée de la Chine dans l’âge du fer, réattribution de la fonction des caches, ou encore mise au point sur l’expansion géographique des dynasties.

PARIS - Les archéologues chinois ont sélectionné les pièces présentées, mais la scénographie est française : chaque salle a sa propre couleur et sa propre présentation. Cette autonomie met en valeur près de 200 objets inscrits dans un parcours chronologique, choisi par Gilles Béguin, commissaire de l’exposition. La limitation territoriale fixée par les Chinois à trois provinces (le Shaanxi, le Henan et la Mongolie-Intérieure) a pour corollaire une limitation chronologique : depuis les débuts de l’âge du bronze (période des Shang et des Zhou, des IIe et Ier millénaires av. J.-C.) jusqu’à la période des Liao (916-1125), soit 2 500 ans d’histoire.

Le propos est certes chronologique, mais deux parties émergent, avec pour transition le mausolée du premier empereur Qin Shihuangdi (l’homme de l’unification du pays et de la Grande Muraille). Il s’agirait d’opposer l’artisanat du bronze et du jade à celui de l’orfèvrerie en une scission brutale.
Trois masques simiesques accrochés à de hautes tiges métalliques accueillent le visiteur. Nous pénétrons dans l’univers des Shang (1550-1050 av. J.-C.), qui ont évolué dans le Shaanxi. Ces temps sont marqués par le bronze, au centre d’une activité économique et sociale structurée. Comparons les trésors de deux tombes : celle de Toutankhamon (vers 1343 av. J.-C.) et celle de Fu Hao (épouse d’un souverain Shang vers 1200 av. J.-C.). l’Égypte considère l’or comme matériau riche alors que la Chine privilégie le bronze et le jade. Il se décline en vases pour la bière de céréales (jue, jiao, jia, you...) ou en vases pour les offrandes de nourriture (li, ding...) – utilisés lors des rituels et des banquets aux ancêtres –, et en carillons. Ces pièces d’apparat étaient dans des caches : leur fonction de protection contre les pillages liés aux invasions est délaissée, pour s’accorder sur celle de rangement. Leur rôle dans la société est élucidé par l’inscription de ce shengding de la section des Printemps et Automne (VIe siècle av. J.-C.) : “Wang Zi Wu a choisi un métal faste (...) pour y cuire la viande des sacrifices. Manifestant sa piété filiale, il s’en servira pour régaler ses augustes ancêtres et son père défunt, et implorer (d’eux) la longévité.” Quant à la technique, la petite table en bronze ajouré (tombe n° 2 de Xiasi, Henan, 1re moitié du VIe av. J.-C.) est l’un des rares exemples de la fonte à la cire perdue. Les artisans chinois coulent la pièce dans un moule autour d’une âme de terre compacte.

La tombe n° 2001 à Shangcunling (Henan) a livré de nombreux jades funéraires et ornementaux, dont cette hache de cérémonie ou le masque de jade qui recouvraient entièrement le visage du défunt. Le poignard en fer avec manche en jade avance de deux cents ans l’entrée de la Chine dans l’âge du fer.
Premier empereur mort en 210 av. J.-C., la présence de Qin Shihuangdi remet en cause le titre même de l’exposition “La Gloire des empereurs”, puisque avant ce ne sont que des royaumes. De plus il est le seul personnage de cette envergure à “participer” à l’exposition. L’armée de terre cuite présentée provient des fosses entourant son sépulcre qui n’a pas encore été fouillé, alors que l’emplacement n’est pas secret. Peut-être est-ce la crainte de pièges dressés pour qui tenterait d’y entrer ? On pourra noter que le conducteur de char est un des rares à avoir les mains protégées par son armure.

L’orfèvrerie dans un écrin
Quant à la réunion de telles pièces, Gilles Béguin rappelle qu’il n’y a jamais eu de précédent en Occident. Chez les Han (206 av.–220 ap. J.-C.), l’accent n’est pas mis sur la production des statues de terre cuite, les mingqi, mais sur les bronzes dorés, tel ce cheval (moins robuste que ceux de l’armée de Qin), ou ce brûle-parfum d’inspiration taoïste. Les souverains Wei du Nord intègrent le Bouddha, le Bodhisattva Avalokitesvara dans l’iconographie. Les Sui (581-618) traitent le sujet avec un certain “maniérisme”. La dynastie des Tang (618-907) offre le trésor du Famensi, temple bouddhique enfermant une phalange du Bouddha. La reconstruction de ce temple a mis au jour des reliquaires et coffrets en jade et argent doré, ainsi qu’un Bodhisattva en argent, portant un plateau sur lequel devait être déposée la relique. Le dernier point fort du parcours consiste en la tombe de la princesse de Chen et de son époux, découverte en 1986. La princesse est morte à dix-sept ans, en 1018 (sous les Liao), enterrée exceptionnellement avec son époux sur la même couche funéraire. Le costume mortuaire est somptueux : une coiffe en argent doré, un masque en or, des bottes en argent et à décor doré. Les corps avaient été revêtus d’un filet en mailles d’argent. Le parcours s’achève par une ouverture au contemporain avec 15 huiles de Zao Wou-ki.

- CHINE, LA GLOIRE DES EMPEREURS, jusqu’au 28 janvier, Petit Palais, tlj sauf lundi, 10h-17h40, jeudi, nocturne jusqu’à 20h. Catalogue sous la direction de Gilles Béguin et Marie Laureillard, coédition. Paris Musées / Findakly, 416 p., 200 ill. coul. et 150 n & b, 340 F.

Chen Zhen malvenu pour l’ambassade de Chine

Contrepoint contemporain à “La Voix du Dragon�? (lire ci-contre), Daily Incantations, la sculpture de Chen Zhen, a été déplacée de l’autre côté de la Grande Halle de la Villette. “L’ambassade de la République populaire de Chine a été choquée de ce que Chen Zhen ait voulu créer un carillon traditionnel en remplaçant les cloches de bronze par des pots de chambre en bois�?, a expliqué Emma Lavigne, conservatrice au Musée de la musique. “Nous avons été obligés de déplacer l’œuvre, faute de quoi l’exposition ne se faisait pas�?, a-t-elle ajouté. “Je suis choquée, tous les Chinois trouvent cela irrévérencieux�?, a déclaré Mme Hou Xiaghua, ministre conseiller culturel de l’ambassade de Chine à Paris. Ajoutant moins diplomatiquement : “Ces pots de chambre [...] c’est de la merde.�? Pour l’artiste, originaire de Shanghai et résidant à Paris depuis 1986, Daily Incantations est née des sonorités nouvelles découvertes lors d’un voyage en Chine en 1993, et qui “traduisaient l’hybridation de deux cultures, de deux entités, l’Orient et l’Occident�?. “Le bruit du lavage des pots de chambre dans les rues, associé aux récitations du Petit Livre rouge, pour autant prosaïques qu’ils soient, témoignent pour moi d’une époque de l’histoire de la Chine�?, explique Chen Zhen dans le livret de l’exposition (en ligne sur www.cite-musique.fr).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°116 du 1 décembre 2000, avec le titre suivant : Un Petit Palais pour un Grand Empire

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