Un objet de culte devenu l’emblème du Mali

Par Laure Meyer · L'ŒIL

Le 1 septembre 2006 - 898 mots

Étant donné l’engouement de l’Occident pour le ciwara, le Mali a choisi d’en faire un symbole et de le décliner sur sa monnaie, ses timbres... Histoire, peut-être, de ne pas oublier ses pouvoirs.

Il est quasi impossible de définir avec une relative précision ce qu’est un masque africain, quelle est sa fonction, au-delà de la simple apparence visuelle. Bien souvent, c’est un masque anthropomorphe, il a un visage plus ou moins proche de l’humain.
Pour de nombreux auteurs, ce genre de masque est considéré comme un élément défensif, un écran protecteur et en même temps une « interface » permettant à un humain d’affronter la présence terrifiante d’un esprit, présence normalement mortelle pour l’être vivant. D’autres auteurs entrevoient le masque comme un moyen de donner à l’invisible, au surnaturel, une forme visible.

À l’origine était Ciwara
Les masques ciwara ne sont pas des masques anthropomorphes, ils représentent des animaux ou des êtres hybrides. Cela n’est pas surprenant car l’existence d’ancêtres ou d’esprits ayant pris une forme animale est tout à fait compatible avec l’idée que se faisaient certains Africains du monde mythique.
Les Bamana avaient conservé de leur lointain passé une légende, un mythe concernant un esprit nommé Ciwara. On le voyait comme un être mi-animal mi-humain né de l’union de Mousso Koroni, sa mère, avec un serpent. Ciwara cultivait la terre en ayant recours à la magie : il transformait les mauvaises herbes en mil (une céréale). Il enseigna cet art aux hommes qui devinrent de ce fait des cultivateurs prospères. Mais ces derniers se montrèrent bientôt moins consciencieux et gaspillèrent leurs ressources. À ce spectacle, Ciwara désespéré s’enterra lui-même dans le sol.
Les hommes commencèrent alors à le regretter et, cherchant à l’apaiser, ils sculptèrent des coiffures de danse pour lui demander de revenir et retrouver son enseignement.
De nos jours, cette légende est tombée dans l’oubli, peu de gens savent qui était Ciwara. Ce nom est devenu un nom commun qui signifie « excellent agriculteur ». Les danses du Ciwara qui, au départ, étaient secrètes ont maintenant lieu devant femmes et enfants. Ces derniers chantent même des encouragements afin que les hommes deviennent de vigoureux agriculteurs capables de les nourrir. La vulgarisation des Ciwara participe d’un processus relativement général qui a consisté, depuis une centaine d’années, à transformer les danses masquées en fêtes de village dépourvues de leur caractère sacré et dramatique d’autrefois.

Des danses initiatiques
Il ne faut pas oublier qu’il y a un siècle les sociétés initiatiques avaient encore de l’importance chez les Bamana. Le Ciwara était l’une de ces sociétés, enseignant au jeune homme tout ce qui lui était nécessaire pour s’accomplir totalement. De nos jours encore, l’agriculture est considérée comme la plus noble des professions, ce qui est fort utile car le sol du pays est pauvre. Selon les villages, les danses de Ciwara pouvaient apparaître en des occasions variées. Toujours pour les initiations des garçons, et au moment des deuils. Souvent aussi pour dispenser un bienfait, guérir une morsure de serpent ou, plus largement, protéger les villageois. Dans tous les cas, ce sont des objets fédérateurs et protecteurs pour la communauté. Très active au début du xxe siècle, la société ciwara a perdu de son influence, au point que maintenant ce culte n’a plus cours que dans quelques villages.

Ciwara et l’art moderne
Dans le Mali contemporain, le cimier ciwara est paradoxalement devenu le principal symbole du pays, regagnant dans le domaine laïque tout ce qu’il a perdu au niveau du rituel. C’est un couple de Ciwara qui orne une fontaine dans un jardin de la capitale. Des programmes gouvernementaux en ont fait leur logo. Il figure sur les timbres-poste, les billets de banque et le site du ministère malien de l’Artisanat et du Tourisme. Enfin le prix « Ciwara d’exception » est une sorte de Légion d’Honneur.
En Europe, les sculptures ciwara avaient très tôt séduit des artistes fauves et cubistes. André Derain en possédait une, de même que Constantin Brâncusi et Georges Braque. Fernand Léger y puisa l’inspiration pour les costumes de La Création du monde, un ballet de Blaise Cendras et Darius Milhaud. Passant l’Atlantique en 1960, le Ciwara fut révélé par une exposition du Museum of Primitive Art de New York, devenant rapidement le symbole d’un art vivant, toujours contemporain.
Les villageois n’ont pas tardé à comprendre qu’ils pouvaient tirer profit de cette publicité et les prix des sculptures recherchées par les plus grands collectionneurs ont grimpé en flèche, tandis que des copies plus ou moins exactes se multiplient.
Les masques exposés au musée du quai Branly pourront sembler à certains visiteurs figés comme des papillons épinglés dans leur boîte. Pour les faire vivre autant que possible, le parcours est scandé de photographies et accompagné de films. Peut-être verrons-nous alors s’élancer à nouveau les antilopes qui dansent sous le soleil de la savane emportant avec elles toutes leurs énigmes, tout leur mystère.

Repères

1882 À son ouverture, le musée d’Ethnographie à Paris présente un superbe cimier ciwara. 1900-1920 Collectionneurs d’art africain, les artistes André Derain, Constantin Brancusi et Georges Braque ont tous possédé un cimier ciwara. 1923 Fernand Léger s’inspire des ciwara pour les costumes de La Création du monde, ballet dont le livret est écrit par Cendrars. 1960 Une importante exposition consacrée à la culture bambara se tient au Museum of Primitive Art de New York. 2005 Le chef d’État malien, Amadou Toumani Touré, offre au pape un cimier ciwara.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Ciwara, chimères africaines » est ouverte jusqu’au 17 décembre, du mardi au dimanche de 10 h à 18 h 30 et en nocturne le jeudi jusqu’à 21 h 30. Tarifs valables pour le musée et cette exposition : 8,50 € et 6 € ; tarifs « Un jour au musée » pour le plateau des collections et toutes les autres expositions : 13 € et 9,50 €. Au musée du quai Branly, accès par la rue de l’Université ou le quai Branly, Paris VIIe, tél. 01 56 61 70 00, www.quaibranly.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°583 du 1 septembre 2006, avec le titre suivant : Un objet de culte devenu l’emblème du Mali

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