Un musée Ferragamo

Le Journal des Arts

Le 19 décembre 1997 - 928 mots

Sans attendre la reconnaissance des historiens de la mode, le fabricant de chaussures Ferragamo a décidé d’ouvrir un musée pour célébrer ses créations. Celui-ci a été installé dans les propres locaux de la société à Florence, et sa direction confiée à Stefania Ricci, une spécialiste de l’histoire du costume.

Le groupe florentin Ferragamo fabrique des chaussures pour femmes (40 % de son chiffre d’affaires), des articles de voyage et toutes sortes d’accessoires. La santé économique de l’entreprise est excellente, le total des ventes s’élevant à 851 milliards de lires (2,9 milliards de francs) pour l’exercice 1996, avec une progression d’environ 30 % sur les deux dernières années. Le rachat d’Emanuel Ungaro, en 1996, marque une avancée importante vers la diversification dans le marché du textile.

Le siège social de Ferragamo est situé, depuis 1938 dans un lieu historique, le Palazzo Spini Feroni, tout comme les bureaux du groupe et le Museo Salvatore Ferragamo, inauguré en 1995. Le musée présente plus de 10 000 modèles de chaussures différents créés par le fondateur de l’entreprise depuis les années vingt, lorsqu’il a débuté sa carrière aux États-Unis, où plus de 40 % de la production Ferragamo est toujours exportée. Wanda Ferragamo, la veuve de Salvatore, est aujourd’hui présidente du groupe. Ses six enfants sont responsables des différents départements de l’entreprise familiale et sa fille aînée, la marquise Fiamma di San Giuliano Ferragamo est vice-présidente du groupe et présidente du musée. Celui-ci est dirigé par l’historienne du costume Stefania Ricci. L’idée d’un musée pour la collection Ferragamo a vu le jour en 1985, lorsque la Ville de Florence a décidé d’organiser une exposition de l’œuvre de Salvatore Ferragamo, en collaboration avec le Musée du costume qui venait d’ouvrir au Palazzo Pitti. Elle s’est tenue  au Palazzo Strozzi, avant d’être montrée au  Victoria & Albert Museum et au Los Angeles County Museum of Art. La Fondation Sogetsu Kai, à Tokyo, devrait l’accueillir en 1998. En 1995, avec l’aide de Kirsten Aschengreen Piacenti, alors responsable des arts décoratifs au Palazzo Pitti, une partie du Palazzo Spini Feroni a été transformée en musée, avec des archives informatisées et une bibliothèque spécialisée. Un nouvel espace de 1 000 m2, conçu pour présenter des expositions temporaires d’art contemporain, ouvrira ses portes l’an prochain. La famille Ferragamo espère que le Palazzo Spini Feroni sera plus qu’un musée familial ; elle souhaite en faire un centre d’art dynamique afin de promouvoir la mode en tant que phénomène culturel moderne. Le musée accueille chaque mois quelque 1 000 visiteurs et propose des visites guidées en italien et en anglais. Tous les deux ans, les vitrines sont remaniées, des modèles différents exposés et un nouveau thème choisi. L’exposition en cours, intitulée “Fabrics for fantasy”, se propose de comparer des modèles inédits créés par Ferragamo et l’évolution de l’art contemporain.

Madame Ricci, selon vous, quelle relation y a-t-il entre l’art et la mode ?
Prenons l’exemple de Salvatore Ferragamo. Dès les années vingt, il a entretenu des rapports étroits avec les artistes futuristes, et cela transparaît dans son choix des couleurs pour ses modèles. Je pense qu’il est le premier créateur de mode à avoir fréquenté régulièrement des artistes. Il a également chargé le peintre futuriste Lucio Venna de créer des publicités pour son entreprise.
Je voudrais aussi vous parler d’Emilio Pucci (j’ai organisé une exposition de ses dessins pour la Biennale de la Mode). Lorsque Pucci travaillait aux États-Unis dans les années soixante, il a été très influencé par des artistes américains comme Motherwell ou Stella. L’art est une source d’inspiration, l’art est presque contagieux, même si les couturiers créent des modèles tout à fait nouveaux et très différents de ce qui les a inspirés. Prendre un tableau de Mondrian pour en faire une robe ne veut rien dire. Ce n’est pas de “l’influence”, c’est du plagiat ! Je ne pense pas non plus qu’il soit correct d’appeler “mode” un vêtement créé par des artistes tels que Schnabel ou Judith Shea : même s’il ressemble à un vêtement, ce n’en est pas un, c’est une sculpture. La relation entre les deux mondes est très complexe et sera analysée ici sous tous ses aspects, pas uniquement du point de vue de l’histoire de l’art, comme ce fut le cas jusqu’à présent. Aujourd’hui les rôles sont inversés :
la mode est devenue plus créative que l’art.

Quel rôle la famille Ferragamo joue-t-elle au sein du musée ? Sont-ils collectionneurs ?
La fille aînée de Salvatore est présidente du musée et elle suit de près nos activités. C’est la famille Ferragamo qui a décidé d’ouvrir un espace pour l’art contemporain, ici, à Florence, une ville tellement ancrée dans le passé. Sont-ils collectionneurs ? Ils s’intéressent surtout aux œuvres de la période allant de 1500 à 1700.

Pourquoi avoir choisi Florence pour le musée ?
Salvatore Ferragamo voulait que son nom reste attaché à Florence. Lorsqu’il est revenu en Italie, il s’est installé ici car, pour ses clients américains, Florence était synonyme du bon goût italien. Sa marque a toujours été et demeure “Ferragamo’s Creations Florence Italy”. Plusieurs centaines d’artisans hautement qualifiés travaillent ici, et Salvatore y a trouvé tous les matériaux qu’il utilisait (la première chaussure en patchwork créée avec plusieurs cuirs différents a été réalisée en 1928). Ses fils, peut-être encore plus attachés à la ville que leur père, ont compris qu’ils lui devaient leur réussite commerciale. Le musée, les initiatives culturelles de la famille Ferragamo, les subventions pour la restauration des statues du Ponte di Santa Trinità vont bien au-delà du simple mécénat. Ce sont des messages d’amour et de gratitude adressés à Florence.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°50 du 19 décembre 1997, avec le titre suivant : Un musée Ferragamo

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