Un goût éclectique

Dessins hollandais et manuscrits français au Musée Condé

Le Journal des Arts

Le 12 octobre 2001 - 703 mots

Au Musée Condé, à Chantilly, deux expositions nous invitent à découvrir les richesses souvent méconnues du cabinet des arts graphiques et de la bibliothèque, avec les dessins hollandais et les manuscrits illustrés de la Renaissance française.

CHANTILLY - À la suite de l’exposition sur les dessins allemands et flamands de sa collection (lire le JdA n° 88, 10 septembre 1999), le Musée Condé présente aujourd’hui son fonds hollandais, qui fait parallèlement l’objet d’une publication. Chaque genre y est représenté par des artistes de premier plan : vues topographiques (Koninck), paysages (Van Ruysdael, Breenbergh, Pynacker), marines (les Van de Velde), animaux (Potter, Berchem), scènes de genre (Van Ostade). Toutefois, on trouvera peu d’esquisses ou de croquis vite griffonnés sur le papier, car “le goût du duc d’Aumale le porte vers des feuilles très achevées, souvent rehaussées de gouache et d’aquarelle”, note David Mandrella, commissaire de l’exposition. Le premier dessin de Rembrandt, une Vue de Dordrecht, n’échappe pas à cette règle, et apparaît par son relatif achèvement presque atypique dans sa production. Tandis que Le serf impitoyable se fait pardonner semble plus proche de sa manière habituelle, il excelle à poser en quelques traits de plume, un volume, un personnage, un geste...

Toutefois, le maître se contente de lavis brun pour rehausser sa composition, alors que paysagistes ou peintres de genre recourent volontiers à la couleur. Dans leurs vues topographiques, Philips Koninck ou Aelbert Cuyp se souviennent qu’ils sont d’abord des peintres. Cette attention au rendu atmosphérique, par exemple dans la Vue d’une ville dans le brouillard de Koninck, n’est pas moins sensible dans les paysages, comme La Rentrée des foins d’Adriaen Van de Velde, où quelques touches d’aquarelle évoquent les dernières rougeurs du soleil sur les nuées.

Indifférente aux séductions de la couleur, La Vieille Racine d’Adam Pynacker avec ses lavis gris et noirs suscite spontanément la comparaison avec la peinture... chinoise.

Riche d’une exceptionnelle bibliothèque également léguée par le duc d’Aumale, le musée présente parallèlement une sélection de livres illustrés qui retrace l’évolution de cet art en France à la Renaissance. Si le XVIe siècle voit les derniers feux de la tradition médiévale du livre d’heures, ce genre connaît toutefois, au début du règne d’Henri II, un dernier renouveau, avec les Heures d’Anne de Montmorency et leur somptueuse reliure en velours brodé. La production de livres plus profanes se développe, du traité d’anatomie à l’histoire romaine. Les ouvrages entièrement composés d’images se multiplient, à l’instar cette étonnante Histoire d’amour sans paroles. Ou encore cet album de dessins d’architecture de Jacques Androuet du Cerceau, célèbre par ailleurs pour son recueil de gravures représentant Les Plus Excellents Bastiments de France.

Parallèlement au développement d’une littérature humaniste, les peintres étrangers apportent un nouveau souffle esthétique à l’art du livre illustré. Ainsi, vers 1520, les enluminures de Godefroy le Batave pour les Commentaires de la guerre gallique de François Demoulins introduisent les principes d’un proto-Maniérisme, avec ses figures élancées aux poses contournées. L’art de Fontainebleau ne tardera pas à irriguer à son tour la peinture des livres dans lesquels se répandent les élégants cuirs découpés introduits par les peintres décorateurs italiens.

Que l’art du livre soit si sensible aux nouveautés picturales n’a rien pour surprendre dans la mesure où des artistes comme Jean Clouet ou Jean Cousin le Père ont participé à de telles entreprises. La main du premier se retrouve dans le frontispice du Diodore de Sicile, et plus particulièrement dans les portraits. D’autre part, Le Judas Macchabée et la Chaste Suzanne des Heures d’Anne Montmorency, ainsi que La Continence de Scipion, un dessin appartenant à un ensemble de neuf scènes de l’histoire romaine, pourraient bien être l’œuvre de Jean Cousin le Père, si l’on en croit Cécile Scailliérez, conservateur au Louvre. Si cette hypothèse exprimée dans le catalogue se confirmait, la découverte serait de taille pour l’un des meilleurs artistes français du XVIe siècle, dont la majeure partie de l’œuvre a disparu, à l’exception d’une poignée de tableaux et de dessins.

- DESSINS HOLLANDAIS ET L’ART DU MANUSCRIT DE LA RENAISSANCE EN FRANCE, jusqu’au 7 janvier, Musée Condé, château de Chantilly, Chantilly, tlj sauf mardi 10h-18h jusqu’au 31/10, puis 10h30-12h45 et 14h-17h. Catalogues, éd. Somogy, 168 p. et 95 p., 170 F et 95 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°134 du 12 octobre 2001, avec le titre suivant : Un goût éclectique

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