Un génie de feu

Sébastien Bourdon revient à Montpellier

Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2000 - 618 mots

Qui est Sébastien Bourdon ? C’est sans doute le propre des grands artistes de ne pouvoir être résumés en une formule, en un tableau. Plus qu’aucun autre, Bourdon (1616-1671) a dérouté les historiens et les connaisseurs ne sachant dans quelle catégorie classer cet inclassable. Comment en effet rapprocher la vigueur baroque de la Crucifixion de saint Pierre et la noble grandeur du portrait équestre de Christine de Suède, la sereine Présentation au temple de la bouillonnante Déploration sur le Christ mort ? Montrer la cohérence de cet œuvre protéiforme, tel est l’enjeu essentiel de la rétrospective présentée à Montpellier, sa ville natale, puis à Strasbourg.

MONTPELLIER - Bambochades, bacchanales ou scènes religieuses, la production du jeune Bourdon, que l’on découvre dans la première partie du parcours, offre une vision passionnante d’un artiste qui cherche, et qui, en Italie, regarde aussi bien Poussin que Castiglione ou Van Laer. De cette somme d’expériences, naît un peintre original, ce qui fait dire à Jacques Thuillier qu’“un tableau de Bourdon se reconnaît au premier coup d’œil”. Revenu à Paris, Bourdon est prêt pour les grandes commandes ; malheureusement, “les circonstances ne devaient jamais être entièrement à la dimension du talent”. Alors que la scène parisienne est accaparée par les Vouet, Le Sueur, Le Brun et autres Errard, et que Montpellier ne peut suffire à son ambition, il croit trouver son pays de cocagne en Suède auprès de la reine Christine. Las, les bouleversements politiques l’empêcheront de devenir “l’Apelle de la Sémiramis du Nord”. Quant au seul grand décor réalisé à Paris, la galerie de l’hôtel de Bretonvilliers, la postérité se chargera de le faire disparaître.

Les œuvres conservées permettent néanmoins de retrouver l’“unité des formes qui resurgissent d’un bout à l’autre de la carrière”, l’“unité de l’inspiration qui s’empare aussi bien de la réalité que des mythes et en dégage une poésie personnelle”, comme l’écrit Jacques Thuillier, commissaire de cette exposition avec Michel Hilaire. Un élan vital palpable sous la rigueur de la composition, une “fougue romantique, promptement bridée mais non brisée”, ainsi pourrait-on caractériser l’art de Bourdon. Il faudrait aussi évoquer cette éclatante science du coloris louée même par ses détracteurs.

Une poétique pré-romantique
D’autre part, si la réunion d’un grand nombre de ses tableaux trahit certaines facilités ou répétitions, plusieurs chefs-d’œuvre dévoilent un artiste irréductible à ses modèles et bien souvent pionnier. Ainsi La Crucifixion de saint Pierre restera-t-elle longtemps un unicum dans l’art français du XVIIe, avant que les peintres de la fin du siècle et du XVIIIe ne reprennent “ces formes sans arabesques, cet espace sans structure”. Dans un autre registre, avec Astyanax découvert par Ulysse dans le tombeau d’Hector, il s’impose comme le créateur d’un style “néo-classique” avant la lettre. Mais “c’est surtout dans ses paysages que l’on remarque la fécondité de génie. Ce sont des pays enchantés où l’on se promène agréablemant, et où il règne une espèce de désordre dans les sites qui ne laisse pas de plaire”, écrivait vers 1725 Mariette, pourtant peu charitable avec le peintre. Si ce genre l’a plus inspiré pour ses gravures, les cieux tourmentés du Paysage à l’épitaphe ou du Paysage avec le retour de l’arche l’éloignent incontestablement de Poussin et participent d’une poétique “pré-romantique”.

Au-delà de la redécouverte attendue, l’exposition a permis la publication (avec un peu de retard) du catalogue raisonné et critique de Bourdon, une somme rédigée par Jacques Thuillier intégrant dessins et gravures, dont une sélection est présentée au Musée Fabre.

- SÉBASTIEN BOURDON, 5 juillet-15 octobre, Pavillon du Musée Fabre, Esplanade Charles-de-Gaulle, 34000 Montpellier, tél. 04 67 66 13 46, tlj sauf lundi 10h-19h, le jeudi jusqu’à 21h. Catalogue, éd. RMN, 528 p., 340 F. Puis à Strasbourg, galeries de l’Ancienne Douane, 25 novembre-4 février.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°110 du 8 septembre 2000, avec le titre suivant : Un génie de feu

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