Avant-garde

Un couple fusionnel

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 3 juin 2008 - 663 mots

La mémoire de Georgette Agutte et Marcel Sembat, passionnés par la politique et l’art, revit le temps d’une exposition au Musée des Archives nationales, à Paris.

PARIS - « Marcel et Georgette Sembat étaient socialistes comme ils étaient artistes : ils étaient artistes par les mêmes dons, par les mêmes penchants qui avaient fait d’eux des socialistes. » Ainsi s’exprimait Léon Blum en décembre 1922 lors d’une cérémonie commémorative dédiée au couple dont la double disparition, quelques mois auparavant, suscita une vive émotion collective. Avocat, député socialiste, membre fondateur de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), franc-maçon et orateur de talent, Marcel Sembat (né en 1862) meurt le 4 septembre 1922 d’une attaque cérébrale. Le lendemain, sa femme, Georgette Agutte (née en 1867), peintre, proche de Matisse et des fauves, se tire une balle dans la tête. Le Musée des Archives nationales, à Paris, met aujourd’hui à l’honneur ce couple passionné par la politique et l’art, et tombé dans les limbes de l’histoire. Le projet est né en 2003, lorsque les héritiers de Marcel Sembat et Georgette Agutte confient à l’institution parisienne les archives personnelles des époux. Après avoir été conditionnées et inventoriées, ne manquait plus que leur présentation au public. Les lettres autographes, photographies et journaux d’époque, effets personnels, les peintures, sculptures et céramiques aujourd’hui réunies « permettent de cerner un peu mieux ce couple fusionnel, uni jusque dans la mort, et de nous interroger sur les rapports qu’entretiennent art et poli-
tique dans la société française du début du XXe siècle », expliquent Ariane James-Sarazin et Régis Lapasin, auteurs du catalogue publié à cette occasion.
Agrémenté de documents audiovisuels et radiophoniques de l’époque, le parcours fonctionne par petits modules, associant archives et œuvres d’art, pour créer un ensemble vivant dans lequel le visiteur peut déambuler librement. Émerge tout d’abord la figure de l’homme politique qui œuvra à unifier les forces socialistes au sein de la SFIO et se définissait lui-même comme un socialiste révolutionnaire, antimilitariste, anticlérical et anticapitaliste. « Jaurès préfère le traitement médical. Pour moi, je penche pour l’intervention chirurgicale. Suis-je pour cela un inconsidéré, un amateur de désordre et de sang ? Ce n’est pas par goût de sang et de massacre que le chirurgien ouvre le ventre », déclarait celui qui remisa ses convictions profondément pacifistes après l’assassinat de Jaurès, en juillet 1914, pour rejoindre le gouvernement d’Union sacrée comme ministre des Travaux publics. Les portraits réalisés par son épouse Georgette Agutte – seule femme à fréquenter l’atelier de Gustave Moreau à partir de 1893 – donne une tout autre image de Sembat. Loin de l’homme agité, il apparaît ici concentré, apaisé, s’adonnant à la lecture et à sa passion d’écrivain. Si l’œuvre de Georgette Agutte est de qualité inégale, elle a le mérite de s’affronter aux problématiques plastiques et techniques de son époque, utilisant, par exemple, du Fibrociment (matériau de l’industrie du bâtiment) comme support pour sa peinture. Des œuvres d’art prêtées par les héritiers de Marcel Sembat ou par le Musée de Grenoble – à qui Georgette Agutte avait donné une partie des œuvres que le couple possédait – reflètent les goûts personnels des époux collectionneurs, séduits par Rouault, Metthey, Signac, Van Dongen, Matisse, Vuillard, Rodin ou Cross. Outre l’achat d’œuvres, les Sembat apportaient un soutien financier, moral et politique aux artistes. En décembre 1912, Marcel intervient ainsi à la tribune de la Chambre des députés où il prononce un discours éloquent en faveur du Salon d’automne, qui expose alors fauves et cubistes. Dans cet engagement en faveur de l’art, la politique n’est pas loin : les pensées des avant-gardes artistiques rejoignent à bien des égards les aspirations d’égalité sociale du député.

MARCEL SEMBAT & GEORGETTE AGUTTE, À LA CROISÉE DES AVANT-GARDES, jusqu’au 13 juillet, Archives nationales, Musée de l’Histoire de France, hôtel de Soubise, 60, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, tél. 01 40 27 62 56, www.archi vesnationales.culture.gouv.fr, tlj sauf mardi, 10h-12h30 et 14h-17h30, 14h-17h30 le week-end. Catalogue, 200 p., 30 euros, ISBN 978-2-7572-0180-0.

MARCEL SEMBAT & GEORGETTE AGUTTE

- Commissariat : Pierre Jugie, conservateur en chef, Archives nationales ; Régis Lapasin, chargé d’études documentaires
- Coordination générale : Ariane James-Sarazin, conservatrice
- Scénographie : Xavier Guillot, chef de travaux d’art ; Raymond Ducelier et Jean-Hervé Labrunie, techniciens d’art
- Nombre de pièces : 200

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°283 du 6 juin 2008, avec le titre suivant : Un couple fusionnel

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