Traits de génies

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 mai 2003 - 383 mots

L’occasion est rare : le dessin et la production artistique du xixe siècle allemand, deux aspects de l’histoire de l’art passablement négligés, réunis à la Kunsthalle de Hambourg. Riche d’une remarquable collection d’art graphique, le musée en dévoile une partie substantielle (une centaine de dessins) et s’attarde sur les lisières encadrant le siècle, du préromantisme, incarné par Phillip Otto Runge et Caspar David Friedrich, au réalisme sensible et triomphant d’Adolph von Menzel. Explorations de la nature, ruines et paysages divins ressentis ou hâtivement griffonnés par les premiers, graphisme minutieux et scènes de la vie moderne croquées avec brutalité, virtuosité et cadrages audacieux par le second, l’exposition trace une courbe aussi ample que sinueuse. Elle révèle au gré du parcours le symbolisme grave et froid de Feuerbach, les rêveries antiques de l’architecte Léo von Klenze, les gravures dramatiques et puissantes de Max Klinger, autant que le naturalisme plus pâle et convenu de Wilhelm Leibl. Le dessin, variant les techniques, se fait passage vers l’œuvre peinte ou architectonique, enregistrement spontané ou exercice pleinement autonome. Il donne un aperçu exemplaire d’un siècle largement imprégné de culture européenne, la plupart des artistes cultivant alors un nomadisme initiatique de rigueur. En témoignent Schnorr von Carolsfeld et Friedrich Overbeck dont l’œuvre porte les lourdes traces de leur passage en Italie. Leur conception religieuse de l’art, leur idéalisation profonde trouvent dans les dessins et les études un support sans doute plus attachant que dans leurs compositions picturales. Le trait clair et appuyé, exécuté à la mine de crayon, révèle la rudesse de la forme autant que le souci du détail, largement éprouvés dans les réalisations monumentales et pittoresques des nazaréens. Enfin Lovis Corinth et Max Liebermann, aux côtés de Menzel, viennent contrarier le cliché persistant d’une seconde moitié du siècle tout entière soumise à un réalisme insipide ou à un académisme pompier. Souhaitons que la peinture allemande, en dehors des quelques grandes figures de la modernité (pas moins de cinq expositions majeures consacrées ces derniers mois en Europe à l’expressionnisme allemand) finisse par attirer les faveurs des institutions françaises. En 1996, le musée d’Orsay s’était bien essayé à témoigner de ses talents par la très belle exposition consacrée à Menzel. À quelques exceptions près, elle était restée sans suite.

HAMBOURG, Kunsthalle, Glockengießerwall, tél. 04042 85 42 612, 9 mai-17 août.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°547 du 1 mai 2003, avec le titre suivant : Traits de génies

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