Art moderne

Toyen, surréaliste tchèque

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 18 avril 2022 - 701 mots

PARIS

Cette peintre méconnue de l’avant-garde praguoise a livré une vision très personnelle et envoûtante du surréalisme. Le Musée d’art moderne de Paris en présente 150 œuvres dont de nombreux dessins.

Paris. Les premiers tableaux de Toyen (Marie Cerminova dite, 1902-1980) n’augurent pas de sa production ultérieure. Née à Prague, elle quitte le domicile de ses parents à l’âge de 18 ans pour rejoindre le groupe de l’avant-garde tchécoslovaque Devetsil. Le parcours du Musée d’art moderne de Paris s’ouvre sur des images pleines de charme, qui datent de cette période, présentant des bords de mer ensoleillés ou des cafés animés (Paysage dalmate, Dalmatie ou Café, toutes de 1922) et peintes dans un style presque naïf inspiré par l’imagerie populaire. Les œuvres qui suivent sont proches du cubisme puriste, des figures géométriques traduites en aplats de couleurs superposés (La Plage et Scaphandrier, 1926).

Mais c’est à Paris, après avoir voyagé en Europe, que Toyen crée en 1926, avec son compagnon de vie le peintre Jindrich Styrsky (1899-1942), sa propre voie artistique sous le nom d’« Artificialisme ». La définition qu’en donne ses deux fondateurs, « une totale identification du peintre au poète », ne facilite pas véritablement la compréhension. Selon eux, l’Artificialisme est doté « d’une conscience abstraite de la réalité. Sans taire son existence, il opère sans elle » (in catalogue de l’exposition). Curieusement, cette tendance artistique est perçue par les spécialistes comme une préfiguration de l’abstraction lyrique. Pourtant, ces formes inconnues mais suggestives, ces lignes courbes et souples, ces volumes stylisés rappellent davantage le biomorphisme, une version organique de l’abstraction, inséparable de la nature. Même les titres, Rochers basaltiques, Paysage de lac ou Oasis (1929, [voir ill.]), évoquent cette union entre l’être humain et l’univers. Parmi les toiles exposées à Paris, certaines ont un aspect légèrement matiériste – l’artiste incorporait du sable dans ses peintures. Signalons également que les représentants principaux du biomorphisme, Miró et Arp, participaient de près ou de loin à la nébuleuse surréaliste.

Un surréalisme « aquatique »

Si Toyen et Styrsky, dans leur manifeste, tentent de se démarquer du surréalisme, il n’empêche : selon Anna Pravdova, conservatrice à la Galerie nationale de Prague, « l’approche du réel mise en œuvre par ce mouvement n’était pas sans les intéresser » (catalogue). Quoi qu’il en soit, leurs expositions dans la capitale française ne sont pas passées inaperçues, Philippe Soupault rédigera même la préface du catalogue de leur deuxième exposition en 1927. Ainsi, même si c’est à ce moment que Toyen réalise ses œuvres les plus abstraites, ce texte marque symboliquement son rapprochement d’avec le surréalisme. L’exposition « Poésie 1932 », qui réunit à Prague des artistes tchèques et des vedettes internationales – Dalí, Max Ernst, André Masson –, permet à Toyen de se confronter à l’ensemble de la production surréaliste. Puis, l’enthousiasme de Breton et d’Éluard pour son œuvre, les publications, les expositions communes des artistes et des poètes tchèques et français, font évoluer son style. Pendant un certain temps, Toyen pratique un « surréalisme aquatique »– les travaux d’Yves Tanguy ne lui sont pas étrangers. Les formes molles qui s’étirent (Larve I, 1934), les corps vissés sur eux-mêmes dans un espace sans repères (Naufrage dans un rêve, 1934) forment une étrange galaxie.

L’effroi devant la guerre

De retour à Prague en 1939, Toyen subit l’invasion nazie de son pays et réagit par des œuvres qui expriment son effroi. Le chapitre « Cache-toi guerre ! », paradoxalement, n’en cache rien. Au château La Coste (1946) ou La Guerre/Épouvantail de campagne (1945) sont des représentations d’une efficacité terrible. Trop, peut-être, car elles font appel à une imagerie convenue : une vieille femme décharnée, un loup menaçant. Les autres sections, « Le devenir de la liberté » ou « Le nouveau monde amoureux », partagent le même penchant pour un surréalisme dont l’imaginaire est souvent traversé par des lieux communs : une apparition aux yeux écarquillés qui nous fixent comme dans L’Origine de la vérité, 1952 ; les astres avec Au soleil noir, 1951 ; une femme sphinge dans Le Paravent, 1966.

Accompagnée d’un somptueux catalogue, la manifestation fait découvrir une créatrice peu connue, à l’œuvre séduisante et qui, à côté de sa peinture, laisse une importante production graphique. On hésitera, toutefois, à adhérer à l’affirmation du musée selon laquelle Toyen est l’une des artistes les plus importantes du XXe siècle.

Toyen, l’écart absolu,
jusqu’au 24 juillet, Musée d’art moderne de Paris, 11, av. du Président-Wilson, 75116 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°587 du 15 avril 2022, avec le titre suivant : Toyen, surréaliste tchèque

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